Au Théâtre du Nord où elle est artiste associée, l’autrice met en scène Woke, une pièce joyeuse qui tente de rendre léger notre monde ultralibéral.
Tout comme Luigi Pirandello, Virginie Despentes met en scène des personnages qui veulent être libres d’écrire leur rôle. Dans la vraie vie, Woke, la pièce, est un projet à huit mains et pas des moindres, puisque le texte est une pensée collective rassemblant Julien Delmaire, Virginie Despentes, Anne Pauly et Paul B. Preciado.
Alléchant, non ? Le casting vaut le détour, on y voit notamment le nom de Casey. On retrouve avec une joie immense la force de cette voix que nous avions laissée nous ordonnant de regarder vers l’avenir dans Par les villages, une autre pièce sur la révolte, de Sébastien Kheroufi. Il y a aussi l’immense Soa de Muse qui hypnotise en un coup de talon n’importe quel connard réactionnaire, et puis, entre autres, Mata Gabin, démente dès son premier texte sur une délicieuse humiliation de CRS.
Julien Delmaire, Virginie Despentes, Anne Pauly et Paul B. Preciado sont donc figuré.e.s , à la table de travail, par Sasha Andres, Casey, Mata Gabin et Clara Ponsot. Iels cherchent de bonnes idées pour faire une pièce, et très vite, les personnages s’en mêlent, iels prennent vie. Ensuite, eh bien, le tout s’enlise. Sans aucune hiérarchie, tous les sujets de notre société y passent. Alors c’est cool, cela donne la sensation de boire un verre entre ami.e.s dans l’entre-soi le plus total. C’est très confortable, c’est léger et souvent drôle. Le problème est que Woke ne nous déplace pas.
Sur le fond, ce spectacle est génial. Il est ultra feel good et hautement sympathique. Il y a des icônes sur cette scène qui brillent fort et on découvre avec joie le talent de Clément Bigot, Sam Chemoul, Ambre Germain-Cartron, Miya Péchillon, élèves de l’École du Nord qui campent à merveille des journalistes en reportage pour des chaînes d’extrême droite.
Woke est un spectacle sur l’envie de révolution, mais une révolution fière, qui brille. Woke dénonce avec justesse la façon qu’a le capitalisme de dévorer et de toujours mettre en pièces celles et ceux qui ont le moins, celles et ceux qui veulent assumer ce qu’elles et ils sont.
Malgré les bonnes punchlines et la présence dingue de Soa de Muse, et malgré notre fort désir d’être séduite, la magie ne prend pas (même si la pièce convoque un oracle, et que ça, c’est une idée folle !). Nous sommes un peu interloqué.e face à cette scénographie ultraclassique, qui utilise des codes plutôt datés comme par exemple, une mise en scène qui repose sur une succession de tableaux, des prises de parole avec des micros sur pied, de grandes lettres à poser sur scène, un décor en escalier rigide… Woke est une superbe idée, qui brille par des moments délicieux, mais qui reste trop littérale. De plus, malheureusement, une bonne énergie, aussi bienveillante et généreuse soit-elle, ne peut suppléer à un tel manque de dramaturgie.
Woke choisit de rester du côté de la joie. Ce n’est pas désagréable, mais le niveau de réflexion reste en surface. Cela peut s’expliquer par la fraîcheur du projet. En effet, ce 14 mars, à l’issue de la représentation, nous apprenons grâce au bord-plateau que notre sensation de fragilité face à cet objet était justifiée. Cela ne fait que quatre semaines que le travail a commencé. Ce qui se donne en ce moment à Lille est donc une pièce qui va certainement trouver ses marques.
Jusqu’au 16 mars, informations et réservations
Visuel : ©Arnaud Berteraud