Au Théâtre du Rond-Point, le comédien révélé par Réparer les vivants en 2017 s’affirme en tant que metteur en scène en adaptant brillamment le texte ciselé de Tanguy Viel : Article 353 du Code pénal.
Tout commence par une voix. Puis vient une image, une grande image filmée qui nous montre la mer, la nuit. Ensuite, une scène et une date : le 19 juin 1998, un tribunal, Brest. Le décor est littéral, mais de manière décalée. Nous ne sommes pas dans un palais de justice, mais au milieu d’une sorte de carrière de pierre surplombée par une bande de terre. On le comprend en avançant : ce sont les ruines d’un projet immobilier, imaginé par un arnaqueur de premier ordre, Grévellec. Mais étonnamment, ce n’est pas lui qui est à la barre ce jour-là, c’est Martial, un chic type, un vrai socialiste de la première heure, un gentil. Alors, qu’est-il arrivé pour que Martial soit jugé et que, on l’apprend vite, son fils Erwan soit lui aussi sous les verrous ?
Très vite, l’attention se recentre sur le jeu de Vincent Garanger, à qui Emmanuel Noblet déroule un tapis rouge version pas chic, pas glam. Ici, tout est marron, moche : les costumes, l’ambiance. Ça sent le crade, le monde qui bascule, qui tourne à l’envers. Emmanuel Noblet a resserré le texte, l’a découpé pour en faire un quasi-monologue théâtral. Et cet exercice est une réussite totale. On sait qu’il y a eu un meurtre – c’est dit dès le début. C’est pour cela que nous sommes là.
Vincent Garanger entre dans son personnage, un peu bourru, la tête oscillant de gauche à droite comme un personnage de dessin animé. Il porte avec justesse l’écriture imagée de Tanguy Viel, à la fois populaire et intellectuelle. Vincent Garanger, devenu Martial, raconte l’emprise, la grande escroquerie, l’œuvre parfaite d’un immense connard, d’une enflure magistrale qui l’a entraîné, lui et toute la ville, dans la ruine.
Faut-il croire aux miracles ? L’espoir fait vivre, mais il peut aussi plomber. Qui pouvait réellement croire à cette punchline : «Le Saint-Tropez du Finistère » ? Brumeux, non ? L’écriture de Tanguy Viel, au croisement du polar et de l’injustice, nous embarque sur les routes bretonnes où la brume justement s’immisce dans les trajets accidentés. Elle nous colle au bar, où la gnôle coule à flot. Elle nous fait pénétrer dans l’esprit de ces marins rangés, de ces marées humaines qui vivaient jusque-là une vie pépère. Un peu comme dans Titanic, on sait que tout va sombrer.
La pièce, le jeu, le texte se conjuguent pour nous faire voguer sur les vagues, les creux et les ressacs qui poussent un homme à bout. Un homme qui, dans un ultime sursaut, se venge d’une manière qui suscite la compassion.
Si vous n’êtes pas féru.e.s de droit, jouez le jeu de Tanguy Viel et d’Emmanuel Noblet : ne cherchez pas à savoir ce qu’est l’article 353 du Code pénal.
Depuis le 21 janvier jusqu’au 15 février au Théâtre du Rond-Point
Visuel : © Jean-Louis Fernandez