Du 15 au 21 janvier, Maya Bösch met en scène, au T2G, Manuel d’exil – comment réussir son exil en trente-cinq leçons de Velibor Čolić. Il a été soldat, enrôlé de force à 28 ans ; il a fui la Bosnie ravagée par les horreurs de la guerre pour atterrir en 1992 dans un foyer pour réfugié·e·s à Rennes. Pour le sauver, une seule porte de sortie : la poésie. Nous avons rencontré l’auteur de ce texte plus jamais d’actualité.
Manuel d’exil est un roman. Et j’aimerais surtout que ce texte soit lu, traité, aimé ou détesté, comme tel. Comme un roman. La scène de théâtre est une autre lecture, une autre chair et un autre souffle par lesquels passe mon texte. La magie. Manuel d’Exil raconté à travers le corps de l’acteur devient autre chose. L’écriture quitte la forme horizontale du roman et entre dans la verticalité du dialogue artistique. Théâtre est la couleur, le volume, le bruit et la fureur. Le sous-titre du livre est : comment réussir son exil en 35 leçons. Et, peut-être, pouvons-nous comparer ces chapitres avec des images de films ou des représentations théâtrales. La comparaison s’arrête là. Manuel d’exil est devenu du théâtre grâce à la metteure en scène, Maya Bosch. Elle y a vu ce nerf et ce tissu théâtraux, cette narration qui résonne et vibre. Elle a trouvé son écriture dans mon texte, le fil d’une histoire qui peut être racontée en direct, devant les gens, comme les meilleurs témoins. Je pense toujours qu’au début, avant que les gens ne ressentent le besoin de créer des dieux, la poésie et la magie étaient la même chose.
On me demande souvent si Manuel d’exil est une histoire vraie ?
À mon avis, la tâche principale d’un romancier reste la littérature. Et cette vérité universelle qui peut apparaître ou non lorsqu’une œuvre littéraire est menée à bien. Une histoire vraie ne vaut pas grand-chose si elle est mal racontée. Je tiens à dire que la vérité n’est pas une garantie de qualité. En revanche, la littérature est souvent plus belle, mieux cuisinée, plus lisible, surtout plus vraie, que le monde réel qui nous entoure. On peut donc demander toutes sortes de choses à la littérature, mais pas qu’elle soit meilleure que le monde qui nous entoure. Manuel d’exil (Gallimard, 2016) est le premier volet de ma trilogie d’exil. Il a été suivi de Livre des départs (Gallimard, 2020) et en février 2024, toujours chez Gallimard, je publie Guerre et Pluie.
C’est, je l’espère, une histoire douce et triste, drôle et tragique sur la défaite. Car l’exil, par définition, est une grande débâcle qui donne pourtant droit à l’espoir. L’exil est tout ce qui survient après la déroute humaine, militaire et civilisationnelle, survenue en Yougoslavie dans les années 1990. Manuel d’exil parle des premiers jours, mois et années de ma vie en France. L’apprentissage de la langue française, si difficile pour nous, Slaves, la recherche d’une identité perdue, la lutte pour la survie, la peur de tout… Ma recherche d’un espace où je pourrais vivre. Et bien sûr, je suis convaincu depuis toujours que le paradis et l’enfer existent en parallèle. C’est pourquoi cette histoire est à la fois tragique et comique. Parce que, la tragédie et la comédie, elles sont les sœurs siamoises de notre existence. Manuel d’exil est un livre sur le départ et le retour, sur l’errance et le désir humain de ce réfugié, soldat d’une armée vaincue, de revenir à l’humanité.
Pour raconter cette histoire de manière complète et sereine, sans haine ni accusation, j’avais besoin de trois airbags. Le premier airbag est le temps. Deux décennies et demie se sont écoulées entre ces événements et la rédaction du livre. La flamme s’est transformée en cendres et de ces cendres une autre vie a surgi et la littérature est devenue possible. Le deuxième airbag est l’espace. J’ai écrit Manuel d’exil en Bretagne, à quelque 2 000 kilomètres de mon pays natal. Et cela m’a inconsciemment aidé à atteindre cette distance importante pour écrire le livre. Et le troisième airbag est français. Paradoxalement, cette langue sans enfance, celle que j’ai apprise à 30 ans, m’a permis une intimité dans le texte.
La langue étrangère m’a libéré de la douleur. La langue française, curieusement, m’a permis d’être vraiment intime avec ce texte. Là où ma langue maternelle aurait été muette, la langue étrangère s’est avérée être l’outil idéal pour raconter toutes ces histoires. C’est peut-être étrange, mais c’est vrai.
Dès le début, Maya Bosch m’a constamment consulté. Le choix des textes lui appartient, mais dès les premières répétitions, j’ai participé à la « réduction » de ce livre au niveau d’un spectacle qui dure une heure et quinze minutes. Et quand nous avons atteint ce chiffre magique, d’autres personnes ont continué le travail. Manuel d’exil est une combinaison de texte, de jeu d’acteur, de son et d’architecture sur scène. J’ai vu beaucoup de répétitions, la naissance et la transformation de mon roman en autre chose. Ni meilleur ni pire, mais quelque chose de complètement différent. L’acteur respire différemment de moi. Là où je suis rapide dans le texte, il est lent, là où je suis calme, il crie… Et c’est bien que ce soit comme ça.
J’écris des romans dans une langue qui n’est pas la mienne et ce n’est pas rien pour moi. Pourtant, il me semble que je pourrais découvrir assez facilement les mécanismes de l’écriture pour le théâtre. Écrire le plus simplement possible, directement et d’un seul souffle représente déjà pour moi une expérience théâtrale du monde. Une piste s’ouvre devant moi.
Nous vivons dans un monde ultra-politisé. Tout est observé et interprété à travers des lunettes politiques. J’aimerais surtout que mon Manuel d’exil serve de passerelle entre les gens. Un petit rappel qu’un étranger, un réfugié nous ressemble tellement. Ni ange ni diable, mais comme nous tous. La somme de tout ce qui est parfois faible, d’autres fois fort, intelligent ou stupide, laid ou beau, la somme de tout ce qui rend une personne humaine. La tâche « principale » de ce spectacle est de redonner la face à ceux qui ne l’ont plus. Extraire l’individu du collectif. Manuel d’exil est un rappel pour tenter de voir une personne humaine derrière le réfugié. Et si cela est de la politique, alors notre théâtre est un acte politique.
Du 15 au 25 janvier au Théâtre de Gennevilliers.
Visuel : © Christian Lutz
(Article partenaire)