Imaginez une bande d’hurluberlus sans complexe et sans filtre qui s’interroge sur l’idée d’une fin pour leur prochain spectacle. Ils sont six sur scène, trois garçons et trois filles. Et leur questionnement est des plus sérieux : Est-ce que faire la chenille peut être une mission de santé publique ? un symbole politique ? Est-ce que c’est beauf ? Est-ce que ça rend con ? Poussant à l’extrême cette réflexion métaphysique, ils se lancent dans une série d’improvisations plus absurde les unes que les autres. Dans quel but ? Aucun et c’est tant mieux. Si vous aimez les spectacles qui savent où ils vont, qui ont une route toute tracée, passez votre chemin : le ton ici est clairement au second degré et à l’envie de tout envoyer valser en termes de codes et de conventions.

Voyage en absurdie

Malgré une apparence foutraque et décousue, le tout est pourtant soutenu par un discours extrêmement profond. Tout au long de ce voyage en absurdie, le sous texte est bien présent, qui veut s’amuser d’une société à la dérive et d’un monde dans lequel les humains ne sont plus aux commandes. Pas étonnant d’ailleurs que l’on y croise une vraie chenille et un papillon en plein divorce, mais aussi un bestiaire d’animaux qui observent de loin ces humains qui s’affolent. Quel est le sens du temps qui passe ? du lien filial ? de la société spectacle ? des rapports de classe (avec un très bel hommage à Jean-Luc Lagarce et Jusqu’à la fin du monde dans une scène qui s’avère glaçante)? Ces questionnements sont aussi dans Kermesse, qui se joue des conventions et du politiquement correct.

Grâce au décalage et à une mise en scène foisonnante, jouant à la fois sur un registre burlesque et constamment en (dés)équilibre, sans contrainte, qui tombe toujours juste, Kermesse se veut une lampe grossissante de nos contemporains, où le rire comme l’émotion peuvent surgir de nulle part. Mais surtout, ce qui est le plus réjouissant, c’est le sens de l’auto-dérision de cette troupe constitué de 9 comédiens, dont chacun a son registre propre et sans filtre. Du monde du spectacle et de la vanité qui peut en découler , mais aussi du mépris des critiques et de la société parisianiste, rien ni personne n’est épargné. Et c’est tant mieux. Un critique de théâtre qui fait la chenille, ça n’arrive en tout cas pas tous les jours. Alors chapeau et surtout… merci.