Céleste Germe se livre ici, avec la complicité de de la poétesse Milène Tournier, à une adaptation féministe de la trilogie d’Eschyle.
De L’Orestie et de ses trois volets, on connaît l’argument : Clytemnestre vengeant le sacrifice de sa fille Iphigénie en tuant son époux Agamemnon (Agamemnon), Oreste vengeant à son tour la mort de son père en tuant mère et beau-père (Les Choéphores) et, enfin, la tentative des Erinyes, déesses de la vengeance, de tuer à leur tour Oreste (Les Euménides). Ainsi résumée, la fable a de forts airs de vendetta. La singularité du Jour sans vent de Das Plateau est de concentrer le regard sur les personnages féminins de ces drames multiples.
Pour ce faire, Milène Tournier s’est attelée à combler les lacunes du texte d’Eschyle, lacunes essentiellement dues à son regard masculin. Le texte dit sur scène est donc une œuvre ravaudée, un tissu cousu du travail d’Eschyle et de celui de la poétesse contemporaine. Il en ressort une œuvre nouvelle, créée avec suffisamment de précision pour éviter à l’ensemble de donner un sentiment de patchwork. Le public a bien devant lui un tout, dont la diversité ne s’accompagne d’aucun décrochage.
Surtout, la place accordée aux voix féminines, loin de trahir le texte originel, lui donne une nouvelle épaisseur. Chez Eschyle, déjà, Clytemnestre expliquait son geste par le meurtre de sa fille, éloignée de ce personnage de femme adultère et meurtrière que la conscience collective en a retenu. Mais c’est surtout Hélène, la proie du prince de Troie, qui apparaît ici dans toute son innocence bafouée, à la fois « cible et trophée », objet dès le plus jeune âge de la lubricité des hommes qui l’entourent. Quant au sacrifice d’Iphigénie, il fait l’objet d’une interrogation bienvenue : l’enfant préféré d’Agamemnon aurait-il été sacrifié s’il avait été un garçon ?
La qualité première de cette proposition de fondre avec subtilité ces réflexions dans le texte d’Eschyle. Loin d’envahir le texte et la fable, celles-ci les laissent se déployer. Pour autant, le caractère métathéâtral de l’œuvre est clairement assumé : des écrits projetés en fond de scène indiquent les références aux œuvres d’Eschyle, permettant certes au public de se situer, mais mettant surtout à distance la source première du spectacle.
Bien entendu, les miroirs dont la compagnie Das Plateau est friande informent une bonne partie de la scénographie : occupant l’intégralité du fond de scène, ils présentent par instants de simples doubles des personnages présents sur scène (Aurélia Nova, Maëlys Ricordeau et Antoine Oppenheim), parfois les démultiplient à l’infini selon le jeu de lumières créé par Sébastien Lefèvre. Après avoir été plongé dans une forte obscurité lors du passage des Choéphores, le plateau retrouve la clarté du jour, le public se reflétant à son tour dans les miroirs, comme s’il était partie prenante des délibérations des Erinyes.
Des statues de faux marbre auparavant recouvertes de tissus noirs sont pour leur part dévêtues, apparaissant dans la blancheur de leur pierre et figurant le sanctuaire d’Apollon où a lieu ce jugement. Et, surtout, une trace de sang occupe le sol du début à la fin du spectacle, symbole du thème de la vengeance, qui engendre violence sur violence pour une raison à première vue dérisoire : un jour sans vent.
Ce travail scénographique, à la fois précis et spectaculaire, fonctionne. Toutefois, les acteur et actrices sont souvent à l’avant-scène, donnant à cet imposant décor une dimension essentiellement ornemental : il est beau, mais, à quelques passages près, semble disjoint de l’action proprement dite. L’adaptation, pour être dans l’ensemble réussie, souffre de cet excès de sensationnel.
Un jour sans vent (Une Orestie), texte de Milène Tournier et Eschyle (traduction Florence Dupont), mise en scène de Céleste Germe. Au Théâtre public de Montreuil jusqu’au 11 décembre.
Visuel : © Simon Gosselin