Au Festival d’Avignon Off 2025, Ubu Président détourne la politique avec humour et musique. Cinq comédiens donnent vie à une farce où l’absurde côtoie le réel, portée par le couple Ubu au sommet du grotesque.
Programmée au Festival OFF d’Avignon 2025 du 5 au 26 juillet, Ubu Président transpose l’univers absurde et corrosif d’Alfred Jarry dans une farce musicale contemporaine. Adaptée par Mohamed Kacimi, mise en scène par Isabelle Strakier et rythmée par les compositions d’Alain Territo, cette version repense le grotesque au prisme des dérives politiques modernes.
Ubu Roi devient Ubu Président et prend parfois les traits d’un gouverneur que nous connaissons bien. Entre musique et comédie, le texte habilement modernisé par Mohamed Kacimi rend la pièce originale accessible aux petits comme aux grands. Caricature de notre réalité ou fidèle représentation de son absurdité ? Mère Ubu incarnée par Carla Strakier et Père Ubu sous les traits Stéphane Muquel accentuent cette dimension burlesque par leur jeu en accord avec la démesure de leur personnage. Chacun d’eux jouent sur l’excès, la rupture et le ridicule à travers un comique de geste très efficace : ils multiplient les grimaces, chutes, chamailleries et déplacements absurdes. Le spectacle s’ouvre d’ailleurs sur une scène de « féminicide inversé », selon les mots d’une journaliste venue filmer cette querelle grotesque entre Mère Ubu et Père Ubu. En tout, ils ne sont que cinq comédiens sur scène, mais donnent pourtant l’impression d’être bien plus. Stéphane Barrière, que l’on retrouve également au piano, Michelle Brûlé à l’accordéon, et Virgile Vaugelade au saxophone incarnent tour à tour une galerie de personnages hauts en couleur : un président évincé, une journaliste excentrique avide de sensationnalisme, un maire prêt à tout pour gagner la présidentielle… et bien d’autres encore.
Tout commence lorsque Père Ubu, simple citoyen sans le sou, se lance dans une quête rocambolesque de pouvoir aussi absurde qu’irrésistible, poussé par les ambitions féroces de sa femme, Mère Ubu : devenir président.
C’est décidé, Père Ubu et Mère Ubu sont lancés : ils gouverneront.
Les costumes et le maquillage, particulièrement saisissants, participent pleinement de cette esthétique grotesque propre à l’univers d’Ubu. Ils transforment les comédiens à l’image de la comédie elle-même : visages grimés à l’extrême, silhouettes déformées, traits outrés, Mère et Père Ubu surgissent comme deux personnages de dessin animé cauchemardesques, caricaturaux jusqu’à l’absurde. Ce traitement visuel accentue la dimension parodique et déshumanisée de leurs personnages, réduits à des archétypes bouffons. Le décor, entièrement dessiné en carton, poêle, caméra, micro, renforce cette impression de cartoon.
La modernisation du texte, qui le rend plus contemporain, ne manque pas de références à nos propres figures et systèmes politiques, ce qui nous fait bien sourire, et tout cela en chanson ! Chaque comédien a plusieurs cordes à son arc : chant, danse, instrument, jeu…
C’est à travers cette fresque burlesque que nous assistons à l’ascension de Père Ubu, qui peine à s’exprimer sans l’aide de sa femme, et à sa campagne présidentielle, rythmée par des idées plus absurdes les unes que les autres : suppression des impôts, remboursement de l’essence par la Sécurité sociale, interdiction de vieillir, « comme ça, plus personne ne se plaindra de bosser jusqu’à soixante-cinq ans, puisque plus personne n’aura soixante-cinq ans ».
Dans Ubu Président, « les gens », c’est nous, le public.
Riche en interactions, le spectacle nous donne réellement l’impression de faire partie de cette énorme farce. Et peut-être est-ce le cas ? Cette satire de notre politique, portée par ces cinq voix, nous donne la sensation de nous observer nous-mêmes, mais avec humour.
Au cœur de cette farce, Mère Ubu se distingue comme la véritable force du couple. C’est elle qui pousse son mari à se présenter, qui lui souffle ses idées, le corrige, l’encourage ou le manipule. Elle agit depuis l’ombre, mais c’est bien elle qui tient les rênes. Sans elle, il n’y aurait pas d’Ubu Président. Le résultat est grotesque, bien sûr : un président médiocre, un tyran, mais un président quand même.
Cette figure de femme ambitieuse, stratège et volontaire, est portée avec justesse par Carla Strakier, dont le jeu tout en excès reste toujours maîtrisé. Stéphane Muquel, en Père Ubu, forme avec elle un duo parfaitement grotesque et complice.
Les trois autres comédien.e.s, Stéphane Barrière, Michelle Brûlé et Virgile Vaugelade, impressionnent par leur polyvalence : ils enchaînent les rôles, les instruments et les registres avec une précision remarquable. Ce sont eux qui donnent au spectacle son énergie débordante et sa logique burlesque parfaitement assumée.
Ubu Président au Festival OFF d’Avignon du 5 au 26 juillet au Théâtre du Balcon à 18h30 (relâche les jeudis 10, 17 et 24).
Visuel : © Élie Benzekri