La réponse des hommes revient enfin sur le devant la scène. La pièce qui devait être jouée lors du 74e festival Avignon avait été sacrifiée sur l’autel du Covid, avant d’être montrée aux Amandiers lors de représentations professionnelles en janvier 2022. C’est donc en grand format que Tiphaine Raffier prend possession des Ateliers Berthier pour une série de shorts cuts aussi glaçant que drôle sur les profondeurs sales de l’humanité.
Tout commence par une scène qui devrait entrer au panthéon du théâtre. Il s’agit d’un cauchemar. Un vrai cauchemar, aussi fou, délirant et angoissant que ce qu’un inconscient fécond peut fournir. Nous découvrons une femme, Madame Serra, qui est terrifiée par la maternité. Le spectacle a commencé depuis quelques secondes et c’est une explosion d’images. De mémoire de spectateurices, nous n’avions jamais vu le rêve être joué de la sorte. On y voit une déambulation mystique, un feu qui tourne, et, déjà, ce qui sera le fil conducteur de la pièce : l’écran. Raffier comme Gosselin ou, avant elle, Warlikowski ou, encore, Ivo Van Hove, filme en direct. Elle augmente le regard, nous impose de voir que cette femme ment, fait semblant, pour jouer à la mère qui va bien. Une seconde suffit à faire basculer une intention. La réponse des hommes ne cesse de pointer l’instant de la bascule. Et ce moment de bascule est flagrant, car il se fait de façon collective. Nous les voyons faire.
La réponse des hommes est une pièce très concrète. Elle se passe dans des endroits familiers : une unité de soin, un hôpital, une prison, un tribunal, un musée, une salle à manger. Ces endroits ont tous en commun d’être des lieux clos à accès contrôlé. La troupe et les musicien.ne.s de l’ensemble Miroirs Étendus forment cette société aux rôles fragiles. La pièce les fait se croiser, tisse des liens fragiles entre elles et eux par des fulgurances. Un foulard Hermès, par exemple, passera des mains d’une ex-alcoolique au bord de la rechute à celles d’un pédophile qui se retient. Rien n’est flagrant, c’est subtil. Les éléments arides surnagent pour faire dérailler les jolies choses. Et plus cela avance, plus on se demande : mais quelle est la question ? La réponse, nous la connaissons, elle est placardée, inscrite partout : «Nous sommes désolés », mais jamais, jamais Tiphaine Raffier ne nous libèrera de cette inquiétude.
Avec une élégance très actuelle, la mise en scène met à égalité la violence et la beauté, les voix et les images, la folie et la raison. La pièce nous interdit de croire aux miracles. Il ne reste que des musiciens oubliés du XVIIe pour comprendre la portée de la miséricorde. Ils nous apprennent que la musique comme la douleur se mesure en degrés. La réponse des hommes s’installe dans le quatrième degré, quand la bataille entre le bien et le mal se fait égale. Dans une cohérence très fine, le spectacle nous fait rire et vomir. Depuis 2021, nous avons vu cette metteuse en scène s’intéresser autant à Abba qu’à Philip Roth, à chaque fois dans un lien toujours serré entre la musique et le texte. II est dit quelque chose comme « Je ne te demande pas de comprendre, mais de voir ». C’est religieux ça ! La réponse des hommes est du grand et beau théâtre qui agit comme un rituel dans lequel il est aussi important de regarder que t’entendre.
La réponse des hommes de et mise en scène par Tiphaine Raffier – Du 9 au 20 janvier à l’Odéon-Berthier 17.
Visuel : © Simon Gosselin