Dans Taire, Tamara Al Saadi tente de mettre en miroir deux histoires, qui, dans le fond, n’ont rien à voir l’une avec l’autre : celle d’Eden, une jeune femme abandonnée par l’Aide sociale à l’enfance, et celle, tragique, d’Antigone, morte emmurée vivante pour avoir défié la loi.
De Tamara Al Saadi, nous aimons les spectacles qui parlent d’héritages et d’exils, son Place, ou encore Istiqlal, nous avaient enchanté·es. Dans ce dernier déjà, en 2021, elle convoquait la figure d’une jeune femme d’origine irakienne, à la recherche de ses racines et de l’histoire de sa famille. On le sait, elle dessine d’ordinaire de merveilleuses et poétiques images, mais Taire se trompe de combat, dans le fond comme dans la forme.
Tout commence plutôt bien, avec des codes empruntés au théâtre jeune public. Un soldat, tiens, comme dans Partie, qu’elle avait présenté au Sujet à Vif en 2022, se tient devant nous et se met à faire du lipsync sur Désenchantée de Mylène Farmer. On adore. Les mots de la chanson deviennent le fil conducteur de Taire : tout est chaos, plus rien ne va, rien n’a de sens…
Mais ce qui n’a vraiment aucun sens, c’est que des enfants se retrouvent sans famille alors que des milliers de couples et de célibataires font des demandes d’adoption. Ce qui est chaos, c’est le cas d’Eden, qui, à cause d’un contresens administratif, doit quitter la famille avec laquelle tout allait bien, pour être ballottée de foyer en foyer, jusqu’à devenir une boule de violence. Ce qui ne va pas, c’est que le plus grand mythe de notre civilisation soit réduit à une chanson pop. Non, on ne peut pas lire Antigone uniquement à l’aune de sa naissance. Tamara Al Saadi multiplie les références à des chansons kitsch, mais elle en oublie une majeure, Être né quelque part de Maxime Le Forestier. Oui, depuis que le monde est monde, les enfants ne choisissent pas leurs parents, leur famille, les trottoirs de Paris ou de Manille pour apprendre à marcher. Le parallèle simpliste en devient douteux.
Tamara Al Saadi est une metteuse en scène talentueuse. Nous ne sommes pas surpris·es de la voir réaliser de belles images en clair-obscur et, dans l’ensemble, offrir une direction d’acteur·ices juste, sauf dans le surjeu d’un Créon incohérent par son absence de violence. La pièce cherche le pathos sans jamais l’atteindre, et se perd dans des longueurs inefficaces.
Comme elle le fait régulièrement, elle donne à voir le théâtre, ce qui est une bonne idée. Les bruitages sont réalisés en direct, pour souligner la frontière entre réel et fiction ; il n’est pas question de croire tout ce qu’on nous raconte, surtout quand Eden passe pour la méchante face à des familles d’accueil bienveillantes. On aurait aimé qu’elle dessine un personnage plus profond, qu’elle plonge dans la misère sociale en France sans avoir à convoquer, de manière trop superficielle pour être efficace, la figure tutélaire de la résistance antique.
On gardera de Taire ses parties chantées en arabe, d’une beauté et d’une poésie rares, et son utilisation lumineuse de la lumière, qui dessine avec précision les espaces et les époques.
في عرض Taire، تحاول تمارا السعدي الجمع بين مأساة اجتماعية معاصرة وشخصية أنتيغون الأسطورية، لكنها تخطئ في التوازن بين الشكل والمضمون. رغم بدايته القوية وإخراجه البصري المذهل، فإن النص يتوه بين التبسيط العاطفي والاستعارات الموسيقية السطحية، ولا يمنح الشخصية الرئيسية، Eden، عمقًا كافيًا. تبقى الصور الشعرية والأغاني العربية من أجمل لحظات العرض.
In Taire, Tamara Al Saadi attempts to intertwine a contemporary social tragedy with the mythic figure of Antigone, but the result misses the mark both in form and substance. Despite a compelling opening and striking visual direction, the piece falters in emotional depth and relies too heavily on superficial pop references. Eden’s character lacks nuance, and the metaphor becomes overly simplistic. Still, the Arabic songs and subtle lighting design remain among the most powerful elements of the show.
Du 17 au 21 juillet 2025 à La FabricA du Festival d’Avignon
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Visuel: © Christophe Raynaud de Lage