Dans le cadre du Festival d’Automne, Hubert Colas présente sa mise en scène de Superstructure, un texte de Sonia Chiambretto qui retrace, de façon analytique et non chronologique, l’histoire de l’Algérie de 1954 à nos jours. Une plongée glaçante dans la collusion délétère entre le mécanisme du terrorisme islamiste et les exactions de l’armée française.
Pendant qu’il entre, le public se retrouve au cœur de la mer. Pour le moment, il n’y a pas d’horizon, on voit de l’eau, rien que de l’eau à perte de vue. L’écran prend toute la largeur de la scène, devant lui, il y a un plateau blanc surélevé, plus étroit, qui ressemble à un toit dans une ville. La pièce commence, les personnages arrivent. Anne Corté, Ahmed Fattat, Saïd Ghanem, Adil Mekki, Perle Palombe, Nastassja Tanner et Manuel Vallade campent une myriade de personnages qui composent la société algérienne en fonction des époques racontées. L’histoire nous parvient par les mots, rien que les mots. Le décor d’Hubert Colas est très symbolique, c’est l’écran qui donne la sensation d’écrasement, de cette superstructure, cet « Alger fictionnel tel qu’il fut fantasmé par Le Corbusier dans les années 30. Avec le plan “Obus”, l’architecte avait imaginé une Cité Radieuse algéroise, avec un immeuble long de 10 km dont la toiture serait une autoroute ». Nous sommes donc bien sur un bout de ce toit et nous les écoutons partager leurs réalités. La première partie du spectacle nous plonge la tête dans la réalité du terrorisme islamiste, hasard du calendrier, nous avons vu la pièce le 13 novembre 2025, jour des commémorations des attentats de Paris, les mêmes mots sont employés par les fous de Dieu, en 2015 comme pendant la décennie noire qui fit près de 200 000 morts entre 1991 et 2002. Alors on suit les trajectoires de Fella, Akim, Ksou, Paul, Nicole, Yassin, qui sombrent face à l’évolution de leur pays.
La superstructure remonte le temps, elle permet de comprendre pour ne pas tomber de ce toit. Les comédien·ne·s jouent la carte naturaliste, en habits de ville pour tout un temps, avant de changer d’allure et de rôle pour fusionner avec la nature. D’un côté, la ville blanche aux lignes géométriques, de l’autre, la forêt. D’un côté, les appartements où les grands frères empêchent leurs sœurs de sortir le soir et leur imposent de cacher leurs cheveux, de l’autre, les folies militaires qui agissent sans aucun sens et massacrent tout autant. Pris en étau dans une histoire qui, au XXᵉ siècle, a atteint son climax, notre troupe garde le moral et s’approprie les tubes d’Aznavour à Raïna Raï. On s’attache fort à cette troupe qui joue au bord du sensible, dépassée par le cours des événements.
La pièce avance vers la fiction, elle se terminera sur la fiction, on ne vous en dit pas plus, comme si la réalité, si dure à porter, ne pouvait pas s’en sortir. Il faudra que les comédien·ne·s dansent et chantent pour laisser à l’Algérie et à la France l’âpre bataille des mots, une guerre ? une décennie noire ? Silence. Le texte de Sonia Chiambretto se nomme Gratte-Ciel, devenu Superstructure ici. Cela pointe bien le maelström émotionnel que traverse cette jeunesse, bien campée ici par la troupe, avec tout de même une mention spéciale pour Perle Palombe, qui rappelle qu’elle est une comédienne éblouissante. Elle incarne une jeune fille qui ne compte pas écraser sa liberté, et elle le fait bien. Il s’agit d’un spectacle important, qui rappelle que bien nommer les choses permet d’entrevoir un futur en paix, qui sait, un jour, peut-être.
Jusqu’au samedi 22 novembre 2025, Nanterre-Amandiers – Centre dramatique national, 7 Avenue Pablo Picasso, 92000 Nanterre. Du mardi au vendredi à 20h, le samedi à 18h, le dimanche à 15h. Durée : 2h30 entracte compris.
Visuel : © Bellamy