Mais d’où sort cette énergie que convie sur scène Samuel Achache? Le metteur en scène et ses musiciens-acteurs impressionnent dans cette reprise de Sans Tambour, spectacle protéiforme et virtuose créé à Avignon en 2022, qui raconte l’histoire d’un couple qui se sépare, de la Genèse de cet effondrement et de la renaissance qui s’ensuit. Sauf que rien ne se passe comme prévu, dans cette maison aussi réelle que métaphorique, dont les murs s’écroulent à l’image de la tragédie intime. Porté par les Lieder de Schumann et une musique omniprésente qui fait corps avec les comédiens, le spectateur est embarqué dans une folle épopée qui surfe sur les catastrophes avec un humour grinçant.
Un couple se dispute dans sa cuisine déjà partiellement en ruines. L’effondrement est en marche. La tension monte quand soudain, leurs voix, leurs gestes sont repris par les instruments et le chant des musiciens qui se tiennent dans la «pièce» à côté. Samuel Achache raconte qu’il a enregistré la voix de ses comédiens afin de la faire«doubler» par ses cinq musiciens. Inspirée par les Lieder de Schumann, cette interprétation multiple permet de travailler l’intime tout en le faisant porter par plusieurs voix.
Ainsi, la première partie du spectacle est une chorégraphie entre instruments, chants et jeux, qui apporte une fantaisie et de la légèreté à la catastrophe à venir. Cette catastrophe est celle de ce couple dont le monde va littéralement s’écrouler. La maison représentée sur scène, en partie visible, en partie recouverte de bâche, est, on l’apprendra très vite, promise à la démolition. Tâche que tous les protagonistes, musiciens comme comédiens, s’évertueront à faire tout au long du spectacle, comme pour figurer le désossage en règle de l’histoire d’amour, avant de pouvoir imaginer d’autres possibles, d’autres espaces. Grâce à cette distorsion de l’espace, mais aussi du temps, parfois déroutante, leur histoire passée et présente se mêlent en strates superposables, à l’image du plateau et de la scénographie, travaillée comme un mille-feuille dont on ne perçoit plus le haut du bas ou le début de la fin.
Grâce à des trouvailles savoureuses de mise en scène (comme si des indices étaient distillés dans chaque recoin du décor) et une musique omniprésente qui se fait l’écho des sentiments des deux anciens amants, la maison à plusieurs niveaux, devient un miroir de cette histoire.
Porté par une écriture incisive, le spectacle bascule au fur et à mesure vers une forme encore plus imagée de la psyché des personnages.
Ainsi, l’homme tient son cœur meurtri au bout de son bras avant de le réanimer, l’encourageant à se battre pour survivre ! Un autre personnage se noie littéralement dans ses larmes. C’est un peu fou, mais surtout follement poétique. Et on aime cette folie-là!
Folie que l’on retrouve dans ce piano accroché en l’air qui finira aux bretelles de l’un d’entre eux ( l’incroyable comédien et chanteur Léo-Antonin Lutinier, trublion virevoltant et élastique). Que dire aussi de cet homme qui, éploré, donne des coups de hache sur la table où il se tient debout, comme s’il sciait sa propre branche (génial géant au grand cœur Laurent Ménoret).
Les corps sont mis à rude épreuve et si parfois tout peut paraître énorme, l’émotion pointe comme par magie, lors d’une tirade qui raconte le désespoir de celui qui est quitté. Le tout fait penser à du burlesque, parfois à du cabaret revisité, ou de la tragédie moderne.
Sans Tambour est surtout une aventure unique, où l’humour est omniprésent, qui parle du désordre, du chaos qui peut s’emparer de nos vies après une rupture, mais aussi des renaissances. De ce qui se passe alors que personne n’y comprend rien. Et que comme par magie, la joie revient.
Sans Tambour jusqu’au 9 Mars aux théâtre des bouffes du Nord, du mardi au samedi à 20h, matinée le dimanches à 16h. Durée du spectacle : 1h40.
Mise en scène Samuel Achache, avec Myrtille Hetzel, Antonin-Tri Hoang, Florent Hubert, Sébastien Innocenti, Sarah Le Picard, Léo-Antonin Lutinier, Laurent Ménoret, Agathe Peyrat
Direction musicale Florent Hubert, arrangements collectifs à partir de lieder de Schumann tirés de : Liederkreis op.39, Frauenliebe und Leben op.42, Myrthen op. 25, Dichterliebe op.48, Liederkreis op.24.
Compositions d’Antonin-Tri Hoang, Florent Hubert et Eve Risser
Visuels : ©Jean-Louis Fernandez