« Sans faire de bruit », l’incarnation du silence dans le Off à Avignon

Un dispositif à la puissance évocatrice

Sur scène, un vieux fauteuil de velours, une chaise roulante, un abat-jour… Rien que de très simple. Mais l’on comprendra vite combien et comment chaque objet est lié à l’un des personnages. Ce sont ceux de la famille de la comédienne Louve Reiniche-Larroche. Sa mère, nous apprend le programme, est devenue sourde brusquement à l’automne 2017. La jeune interprète part ici enquêter sur ce que ce drame a fait à celles et ceux qui l’entourent : son grand-père, sa grand-mère, son frère et sa belle-sœur ainsi que leur fille. Mais aussi, et surtout, l’intéressée, la mère donc : Brigitte. Louve Reiniche-Larroche incarnera, tour à tour, chacun-e des membres de sa famille. Le verbe n’est pas ici trop fort. Son jeu subtil nous les fait reconnaître dans une pantomime d’une grande force poétique par un geste, une cambrure, un dos voûté. Outre l’art du mime, le jeu masqué est lui aussi réinventé. En puisant dans ces traditions théâtrales ancestrales, la metteuse en scène, Tal Reuveny offre un champ des possibles poétiques saisissant.

Un éloge à la force de vie

La comédienne nous fait aussi entendre  les voix de son entourage, à la fois singulière et presque (re)connue dans un dispositif que l’on passera ici sous silence, justement. Il est la clé de voûte de la réussite du spectacle. Le son, son absence-présence, est pour ainsi dire l’ultime personnage de la pièce. Celui que l’on ne voit pas mais qui est partout. Le travail de la création sonore de Jonathan Lefèvre-Reich est en cela exceptionnel. Rien n’est démonstratif, tout dans son écriture est ramenée à l’essentiel. Il porte en lui une dramaturgie que l’on aura peu entendue ailleurs.

Le sujet peut paraître terrible. Et pourtant, que de rires fusent dans la salle. Jamais dans la moquerie, toujours dans la tendresse. On rit non pas du malheur des autres, comme à l’accoutumée, mais bien avec les autres, de leur force de vie, de ce qui malgré tout résiste en nous lorsque notre monde s’écroule. Et aussi de leurs petits travers, de leurs fiertés mal dissimulées, de leurs égoïsmes petits ou grands, de leurs colères larvées. Les paroles de Brigitte surtout surprennent et émeuvent. On retiendra la dernière phrase du spectacle comme exemplaire : au fond, ce vers quoi l’on tend, ce qui fait tenir, c’est pouvoir chanter avec et pour une enfant.

Il aura fallu une dernière conversation, presque à la volée, entre deux spectacles, pour que l’on repère celui-ci. C’est aussi cela un festival, se voir conseiller un spectacle comme l’on prodigue un conseil amical. Or donc, Sans faire de bruit est de ce genre-là : un conseil que l’on vous priera de suivre.