Reclaim nous offre cette possibilité rare en ces temps païens et néo-libéraux : se relier au sacré et aux humains, à l’humus qui signe notre humanité.
Patrick Masset décrit Reclaim davantage comme une expérience que comme un spectacle. Et l’on ne peut que lui donner raison. En effet, dès les premières minutes où nous sommes assis.e.s en cercle, une jeune fille — une mère ? un esprit ? — va déposer une marionnette/enfant au pied d’un totem. Ça sent le sacrifice et déjà l’on se regarde, spectateur.ice.s, curieux et saisis par ce qui se passe sur scène. Une chorégraphie inoubliable d’hommes et de femmes (signée Dominique Duszynski) avançant en zombie donne le ton de ce qui va suivre. Nous allons peut-être avoir enfin la chance d’une catharsis… !
Cette jeune fille qui ouvre Reclaim va se transformer en louve et être attaquée par une horde de loups qui déferlent sur le public. Ici aucun quatrième mur ne tient ; les interprètes-loups nous touchent, saisissent nos mains, nous regardent ; tout ceci réalise le voeu de Patrick Masset : créer une expérience à laquelle nous participons avec nos corps plus qu’une représentation, un spectacle où l’image d’un monde serait réfléchie. Ici, c’est organique, les loups mordent et s’en prennent à la louve — Chloé Chevallier — qui nous rappelle Princesse Mononoké. En fait, nous assistons à un viol collectif de la louve ; le rituel devient un ri-tu-elle, si notre oreille est lacanienne. Le féminin est sacrifié sur l’autel du patriarcat dirait-on aujourd’hui. Mais c’est au-delà de ça, puisque les loups (ou encore les esprits…) vont tenter de se rédimer… La catharsis est collective, éminemment politique, les Anciens l’avaient bien compris.
Une émotion purement esthétique affleure : c’est beau ; et le récit qui se déploie grâce aux corps a trait aux archétypes, à de l’originel et du charnel plus qu’à un drame tout droit sorti de nos imaginaires contemporains. La chanteuse lyrique — Blandine Coulon — ne cesse de faire entendre sa voix depuis son rôle de chamane et de mettre la meute de loups — ou encore les esprits selon Patrick Masset — au diapason de ses ordres et de son désir. Un renversement de la hiérarchie des dominés et des dominants s’opère alors ; l’espace de la scène donne à voir un autre monde possible et invite les spectateur.ice.s à agir, contempler — notamment lorsque l’on lève la tête vers les voltigeurs et les porteurs (Chloé Chevallier, César Mispelon et Lisandro Gallo pour les premiers, Paul Krügener et Joaquin Diego Bravo pour les seconds) qui se risquent et nous émerveillent — et méditer sur les liens qui trament nos vies.
À voir (et vivre…) absolument donc !
Jusqu’au 21/07
Relâche le 17/07
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Navette à 20h35 au 2 rue des Écoles (La Manufacture)
au Château de Saint-Chamand à 21h
Visuel : © Christophe Raynaud de Lage