La metteuse en scène italienne Emma Dante clôt sa trilogie dédiée aux contes de Giambattista Basile (1583-1632) au Théâtre national de la Colline. Une version chic, esthétique, gastronomique et néanmoins tragique de cette fable du roi Midas, qui s’hybride avec une poule… Une vanité qui tombe à pic.
Après La Scortecata et Pupo di zucchero, la Colline propose au public parisien de voir la trilogie Basile d’Emma Dante, avec un conte court et cruel que la metteuse en scène venue du sud de l’Italie, ancre très profondément dans les corps.
Corps et visage sont pourtant dissimulés dans la première image de ce spectacle. En fait, tout commence par un seul corps : celui d’une société organique monstrueuse cachée dans des robes noires et portant des masques de poule. Voici, d’ores et déjà bien éclairée, la tragédie de la condition humaine. Les corps se séparent et l’intrigue peut commencer avec le tracé d’un seul petit jupon, mordoré et noir, qui gigote sur la scène. À grand renfort d’encouragements en napolitain chatoyant, deux serviteurs en sortent le malheureux roi, interprété par l’extraordinaire Carmine Maringola.
Fêtard invétéré, ce dernier a vu son destin basculer le jour où, après la chasse, il s’est soulagé sur le bas-côté de la route et essuyé avec les plumes soyeuses d’une poule qu’il pensait morte. Cette dernière s’est accrochée à son postérieur jusqu’à habiter dans son ventre et transformer en œuf d’or toute nourriture prise par le monarque. La pièce commence alors que ce dernier entame son 13e jour de jeûne pour essayer de tuer la poule en lui. Incapable de rien faire, ni s’allonger, ni s’asseoir et encore moins régner, il subit la fausse sollicitude de ses proches et sa cour goulue en attente de la ponte des œufs d’or. Le « roi Charles III d’Anjou, roi de Sicile et de Naples, prince de Giugliano, comte d’Orléans et de Marans, vicomte d’Avignon et de Forcalquier, mais aussi de Scampia, prince de Portici Bellavista, roi d’Albanie, prince de Valence et roi titulaire de Constantinople » n’est plus que l’ombre de lui-même.
Variant divinement sur le thème de la ronde pour faire virevolter les corps autour de celui perclus du héros du roi, Emma Dante imagine plusieurs cercles de l’enfer autour de son malheureux personnage. Du ventre nu qui se gonfle aux tiares scintillantes, de beaux airs baroques rythment la fable en suite de tableaux précieux. Les tables de salle à manger se transforment en prie-Dieu et les festins à trois plats laissent place aux linceuls dans une esthétique absolue. Contrastant avec la vitalité des corps, la lenteur caractérise la cruauté de la mise en scène pour mieux nous embarquer dans une tragédie. La vanité immuable : l’homme est une poule pour l’homme (ou le contraire).
Visuel : © Masiar Pasquali