Dans un nouveau triptyque issu de son projet au long cours Radio Live, la productrice et journaliste Aurélie Charon convertit la scène en réceptacle de paroles imprégnées autant d’une réalité épouvantable, que d’un espoir inébranlable. En naviguant entre la Syrie, Gaza et le Liban, l’un des opus, Nos vies à venir, fait résonner, au Théâtre de la cité internationale pour le festival Transforme – initié par la Fondation Hermès –, ces voix rendues inaudibles par des pouvoirs étouffant l’individu.
Une ruelle lumineuse et bucolique, un dessin schématique avec vue sur mer, un plateau coloré de jaune et rose… Dans cet épisode du projet Radio live, Nos vies à venir frappe par la force de certaines réminiscences joyeuses, douces, presque enfantines. Pourtant, pendant un peu plus de 2h, Hala Rajab, Amir Hassan et Rayane Jawhari témoignent d’un quotidien cassé, rendu impossible par la guerre. De la Syrie à Gaza en passant par le Liban, chacun·e livre, dans cette œuvre de théâtre documentaire, avec calme, lucidité et une maturité impressionnantes, leurs pensées sur une réalité insoutenable.
Avec son projet d’abord radiophonique, la productrice Aurélie Charon trace depuis plus d’une dizaine d’années un chemin emprunté collectivement par « de jeunes gens engagés à travers le monde ». D’abord créatrices, avec la reporter et documentariste belge Caroline Gillet, de séries documentaires radiophoniques, elles réunissent, sur scène, à partir de 2013 des activistes du monde entier. Là, les entretiens d’Aurélie Charon avec ces jeunes côtoient les images projetées en grand écran sur les lieux où ils ont grandi ou vécu, et des extraits sonores.
Rayane Jawhari est une jeune femme libanaise qui a créé une école laïque en 2020, « Esprit libre », une exception dans ce pays où beaucoup d’établissements d’apprentissage sont confessionnels et privés (catholiques, sunnites, chiites, druzes, juifs…). Retard pris par l’administration du pays, peur des bombardements de 2024… L’enseignante raconte avec pragmatisme les difficultés pour construire ce projet qui compte aujourd’hui plus de 200 élèves. Le dialogue avec Aurélie Charon est fluide, naturel. Exit la parole figée d’un texte théâtral, ici, le vécu des intervenant·es ne souffre d’aucune répétition, prévient d’ailleurs la journaliste et conceptrice du projet au début du spectacle.
« Un immeuble entier a été rasé juste ici », montre Rayane du doigt dans l’une des vidéos projetées. Plus tard, le paysage urbain de Gaza, à travers le récit d’Amir Hassan, ramène le public au présent : de cette vie grouillante et commune à toutes les villes du monde, il ne reste aujourd’hui presque plus rien. En convoquant autant les lieux que les gens, Radio live traverse toutes les strates de la mémoire autant collective qu’individuelle.
Ce pont entre grande et petite histoire est évident, notamment dans le parcours émouvant d’Hala Rajab, Syrienne d’une trentaine d’années. Elle est l’une des filles d’un militant communiste anti-régime assassiné en 2019. Les appels en visio avec sa mère et ses sœurs dressent le portrait d’une famille soudée, rendue résiliente par la mort injuste de leur proche. La magnifique voix de la musicienne Emma Prat, qui structure aussi la pièce en chantant en arabe, sublime ce témoignage sensible.
Résistance, passage du temps, pardon, réconciliation… Tous ces motifs universels s’incarnent de manière aussi brute qu’introspective, grâce à la puissance et la simplicité des mots, l’honnêteté des images et une poésie musicale dénuée d’effets superficiels. Emplie de tous ces matériaux qui paraissent ordinaires – une voix, un chant, quelqu’un qui sourit, une larme –, Nos vies à venir touche pourtant à quelque chose qui ramène à la vie et à la raison, comme une piqûre, nécessaire, de rappel.
Du 8 au 9 novembre 2025 au Théâtre Nanterre-Amandiers ; du 27 au 28 novembre 2025 au Théâtre Sartrouville Yvelines CDN ; du 2 au 3 décembre 2025 au Théâtre de la Croix-Rousse, Lyon ; du 10 décembre 2025 à la MC93 – Maison de la Culture de Seine-Saint-Denis, Bobigny. ©Christophe Raynaud de Lage