« Personne n’est ensemble sauf moi » explore les handicaps invisibles

Dyslexie, TDAH, autisme asperger… Autant de mots qui effraient, les adultes comme les enfants. Autant de mots qui désignent des handicaps qui, pour n’être pas visibles, sont bel et bien perceptibles. Car, comme le dit Oussama, dans Personne n’est ensemble sauf moi, si ces handicaps ne se voient pas, ils se « ressentent ». Ces ados un peu à côté des normes sont alors des proies faciles pour leurs congénères, qui se sentent d’autant plus autorisé·es à les agresser qu’iels ne perçoivent pas ce qui « cloche » chez leurs camarades de récréation. Juste une impression d’étrangeté qui justifie à leurs yeux un traitement à part. C’est à déconstruire les sources de ce sentiment que s’emploie Clea Petrolesi.

Un dispositif inclusif

Cette ambition n’est pas nouvelle : la comédienne et metteuse en scène a rejoint depuis 2014 le programme PHARES de l’ESSEC, un dispositif qui accueille des jeunes en situation de handicap, aiguillé·es par la MDPH. L’objet du programme est de permettre aux personnes handicapées d’accéder à des études supérieures malgré les obstacles dus à ce qui semble des « bizarreries ». Au fil des ans, Clea Petrolesi a créé avec certain·es jeunes une complicité. C’est ainsi qu’elle a conçu ce spectacle, écrit à partir d’interviews de ces ados et jeunes adultes, mais aussi de souvenirs personnels.

Comme il ne saurait être question d’élaborer un hymne à l’inclusion sans conception inclusive, le spectacle fut élaboré de façon à permettre aux jeunes handicapé·es de prendre pleinement part au projet. Iels ont ainsi participé au casting des comédien·nes professionnel·les – parce qu’il y en a ! -, mais ont aussi bénéficié d’une distribution double : chaque personnage est susceptible d’être pris en charge par deux jeunes – et, comble de l’inclusion, de quelque genre que ce soit ! – pour éviter la fatigue et répondre aux éventuels imprévus liés aux pathologies des acteurices amateurices. Ou comment faire de l’alternance chère à la Comédie française non plus une survivance poussiéreuse d’une institution vieille de près de cinq siècles, mais un élément d’ouverture et de renouvellement du spectacle vivant contemporain.

Quant au fil dramaturgique de la proposition – puisqu’il faut en passer par là -, il est finalement assez fin : quatre jeunes évoquent leurs souvenirs et leurs angoisses lié·es au handicap. Des inquiétudes liées aux difficiles conditions de scolarisation, mais aussi et surtout au regard de leurs camarades et aux difficultés d’insertion professionnelle. L’importance de ces questions aurait pu être l’occasion d’aborder la fausse « inclusion » mise en place par la hiérarchie de l’Éducation nationale, avec des AESH (accompagnant·es des élèves en situation de handicap) trop peu nombreux·ses et de plus en plus maltraité·es, ce qui explique que l’État délègue à des institutions privées comme l’ESSEC l’insertion et l’accompagnement de publics nouveaux.

Entre comique et théâtralité

L’intérêt principal de la pièce est toutefois moins dans ces évocations que dans leur traitement. Clea Petrolesi est ainsi parvenue à nous plonger dans un monde joyeux et plein d’humour, où le comique ne repose ni sur la moquerie ni sur l’autodérision, mais sur un absurde reposant sur le télescopage de plusieurs mondes, celui des personnes dites « normales » et ceux, bien plus nombreux, des personnes en situation de handicap. Grâce à cette mise en tension, le monde ordinaire, avec ses codes et ses certitudes, est à son tour interrogé dans sa légitimité.

La théâtralité, dans Personne n’est ensemble sauf moi, n’est pas en reste : fan de musique, l’autrice-metteuse en scène a fait appel au jeune compositeur Noé Dollé. Jouant à vue de la guitare électrique, il apparaît, avec sa veste à paillettes, comme une divinité des arts du spectacle. Car la question du handicap invisible, c’est aussi celle du visible et de l’invisible, des essences et des apparences. En bref, la question du théâtre, avec sa chair, sa voix et ses coulisses !