Personne n’est ensemble, sauf moi est une création de Clea Petrolesi qui réunit sur scène comédiens professionnels et non-professionnels, porteurs ou non d’un handicap invisible. Une pièce émouvante qui sonne étrangement vrai à découvrir au 11. Avignon pendant le Festival Off d’Avignon.
Est invisible quelque chose « qu’on ne peut voir, qui échappe à la vue par sa nature ». Est également invisible « ce dont on ne parle pas ». Lorsque l’on dit qu’un handicap est invisible, il faut prendre en compte ces deux définitions car elles ne signifient pas la même chose. En plus de ne pas se voir, ce handicap est invisibilisé par une société qui rejette « l’anormalité ». Mais qu’est-ce que la normalité ?
En 2012, Clea Petrolesi « rencontre pour la première fois les jeunes en situation de handicap du programme PHARES de l’ESSE » avec lesquels elle réalisera des ateliers de théâtre. De ces ateliers nait ce spectacle – « tous portent ici à la fois leur histoire et l’essence de ce que nous avons partagé » – qui met en lumière de jeunes adultes qui ont vécu toute leur jeunesse dans la solitude et l’écart. En mêlant aux comédiens professionnels des comédiens en situation de handicap, la metteuse en scène brouille les limites entre réalité et fiction. Qu’est-ce qui tient du documentaire ? De la fiction ? A quel point les mots qu’ils portent renvoient-ils à cette réalité ?
L’espace scénographique de Personne n’est ensemble, sauf moi se présente comme un lieu où il est possible de parler de soi, de se livrer. Les gradins disposés en arc de cercle invitent à cette confession, ils créent un univers à la fois clos, rassurant, et ouvert sur les autres, les spectateurs. Les quatre comédiens prennent alternativement la parole, ils semblent étrangement eux-même, comme s’ils ne jouaient pas, comme si le curseur entre théâtre et vie réelle s’était estompé. Leurs propos sont d’une simplicité déconcertante, une discussion du quotidien entre amis, entre jeunes ayant subi la même solitude : celle de personnes qui n’entrent pas dans les codes, qui, quoi qu’ils fassent restent différents.
Ces « anecdotes de la vie » sont entrecoupées de récits mythologiques qui apportent des images poétiques. Ils mentionnent Damoclès, Méduse, afin d’illustrer leurs difficultés et leur mal-être, ne cessant de faire des allers-retours entre ces mythes et leur quotidien. Leur sincérité nous touche, nous émeut et Floriane Royon parvient particulièrement à nous transmettre ses émotions. Chez elle, tout est ressentis, elle qui vit dans un corps « qui est comme une prison » et qui ne désire qu’une seule chose : que le théâtre lui permette de « s’inventer un autre corps ».
Le spectacle est ponctué d’une musique live originale composée et jouée par Noé Dollé. Elle nous transporte et donne naissance à des scènes de danse, des moments de lâcher prise total très visuels, des instants de joie intense. Cette musique relie les comédien.ne.s entrent eux, et nous relie à eux. Une scène rend particulièrement compte de ce lien tissé : chacun s’empare d’une petite cloche colorée et livre des insultes reçues pendant sa jeunesse. A chaque mot lancé – « quiche », « prétentieux », « bizarre »,… – , une note retentit et ils créent ensemble, de ces mots blessants, une mélodie. Puis c’est au tour du public de parler, de confier une partie de sa vie. On entre ainsi dans leur univers, et on se rend compte que l’on n’est pas si différent.
Personne n’est ensemble, sauf moi est une pièce fondée sur le ressenti et les émotions. Une parole délivrée avec poésie et sincérité qu’il faut aller écouter.
Au 11. Avignon du 7 au 26 juillet à 13h50. Relâches les 13 et 20 juillet.
Visuel : ©Marie Charbonnier