Jusqu’au 15 décembre, le Théâtre 13 (Paris) accueille Parler Pointu de Benjamin Tholozan. Un seul-en-scène vif, drôle et bien documenté, qui explore par le théâtre une question politique qui touche aussi à l’intime familial de la plupart des personnes vivant en France : celle de la glottophobie, ou comment tout parler et tout accent qui ne respecte pas la norme parisienne est dévalorisé, voire délibérément combattu.
L’accent du Sud, ce parler-chanter hérité de la langue d’Oc et des patois que l’on ne parle presque plus, qui s’éteignent à mesure que le renouvellement des générations fait son œuvre. Un accent qui est un vestige et qui peut être, selon la façon dont on le voit et la sensibilité que l’on a aux injonctions normatives, soit une honte soit une fierté. C’est de cela que traite Parler pointu, en prenant pour point de départ le théâtre, puisque la langue qu’on impose aux comédien·nes, celle qui permet d’espérer ne pas être relégué·e à des rôles caricaturaux dans des comédies peu inspirées, c’est le français de Paris, c’est l’accent plat que, dans le Sud, on désigne par l’expression “parler pointu”. Même s’il part de son endroit – et cela est une bonne chose – Benjamin Tholozan élargit très rapidement à sa famille et à l’histoire de France toute entière. Il n’oublie pas au passage de faire preuve d’auto-dérision et de réfléchir aussi à sa position pour tenter d’éviter de confisquer la parole d’autrui.
C’est peut-être à l’endroit des cours d’histoire que le spectacle traverse de petits trous d’air, malgré toute l’énergie et tous les effets déployés pour lier le didactique et le ludique. Coincé·e entre les Albigeois et Louis XIII, on pourrait finir par perdre son latin et ne plus retenir que la plaisanterie – caricature de Louis XIV ou de Simon de Montfort – en oubliant le fond. Pour le reste, ce Parler pointu est globalement enlevé, traversé par une énergie indéniable et un enjeu clair. La façon dont les portraits des membres de la famille sont croqués révèle le talent d’écriture et d’interprétation d’un Benjamin Tholozan qui, à force d’enchaîner les ruptures et de multiplier voix et maniérismes corporels pour typer ses personnages, finit par s’approcher de la maestria d’un Lionel Lingelser dans Les Possédés d’Illfurth, et ce n’est pas un petit compliment. Les astuces scénographiques et de mise en scène, pour donner à jouer à Brice Ormain, le complice musicien présent au plateau, et pour utiliser l’espace, fonctionnent plus ou moins bien et restent de l’ordre de l’anecdote ; on en retient de belles images, comme le geste d’écarter deux portants pour figurer l’entrée du roi devant sa cour. Les quelques chansons qui émaillent le spectacle, en breton ou en occitan, sont parfaitement à leur place.
Parler pointu apparaît comme un spectacle dynamique, malin, profondément drôle, avec un comédien dont le talent n’est pas très loin de nous espanter…