Tout le monde meurt. Ok. C’est un fait. Mais tout le monde ne meurt pas de la même façon, à 100 ans, dans son sommeil. Non. C’est un fait aussi. Parfois les gens, et ici, en l’occurrence, les mères, se décomposent, pourrissent lentement à vue d’œil sous les yeux de leur fils et de leur fille. Fiction ? Pas si sûr. Au Festival du TNB, Guillaume Vincent et Florence Janas font face à la démence dans un pas de deux fusionné, car pour traverser tout ça, il vaut mieux le faire avec son, sa meilleur·e ami·e.
Dans les années 2010, Guillaume Vincent provoque au théâtre des images de cinéma ornées de rideaux majestueux. Jusqu’au Covid, il crée des chefs-d’œuvre, dont ses Mille et une nuits inoubliables en 2019 à l’Odéon. Nous le retrouvons six ans après dans une toute autre ambiance. Il est de dos, en caleçon et pull de Noël, et il repeint consciencieusement un mur en couleur jaune poussin. Le cadre de scène est un 16/9e dans lequel un autre cadre, carré, est inséré. Cela offre quatre possibilités d’entrer et de sortir de scène. Il ne va pas rester seul très longtemps puisque Florence Janas, sa partenaire de scène adorée, débarque habillée en double de lui, moustache et petit bonnet. Et là, la joute commence. Cela sera dit : le spectacle est une « sorte d’exercice de deuil ».
Rien n’est faux, tout est vrai, ou bien est-ce l’inverse. Guillaume et Vincent nous racontent comment ils ont quitté Paris pour aller s’occuper de leur mère qui perdait la tête jusqu’à en mourir. Mais avant la mort, il se passe quelques trucs. Il y a les auxiliaires de vie qui viennent « les week-ends et quelques lundis parfois », qui vous parlent de votre vie d’avant, de celle où vous habitiez encore là et où les camarades vous traitaient de « tapette » dans la cour du lycée. Belle époque. Vous voilà de retour, la tête dans le berceau, à partager avec un frère parfait, hétéro lui, et surtout, qui n’a jamais quitté le nid. Paradoxe : c’est une hydre à deux têtes qui convoque, comme des flashs, sans jamais aller au bout du plaisir, des figures de comédie. Le résultat est acide, très. Les lumières saturent de jaune (encore), de rouge, de bleu en all over, et au cœur de ça, les comédien·ne·s font les clowns car tout est grave, très grave même.
Elle et lui, si ami·e·s qu’elle et lui sont une seule personne, se comprennent en un instant. Elle et lui ont fait la guerre ensemble ; elle et lui se font confiance. Ce qui est joué, dans les dialogues, entre la folie et la raison, semble surréaliste et pourtant, à bien les regarder jouer sur leur scène en long, si proche de nous, en close-up, on le sent : pas grand-chose n’a été inventé là-dedans. En revanche, on ne saura jamais quelle histoire a été vécue par qui. Il est là, le paradoxe : ce n’est pas important. La structure de l’écriture du spectacle est virtuose. Paradoxe prend des allures de Feydeau triste ; elle est faite d’apparitions et de disparitions où, pour s’aérer la tête un peu, on convoque quelques éléments de pop culture gay. Dans cette pièce, il est question de mort, d’homophobie, du viol d’une gamine et d’un chat qui choisit son heure. Souvent, le ton est caustique, mais l’humour est si noir ici qu’il ne parvient pas à camoufler la violence de votre monde qui s’écroule. Jusqu’ici, Guillaume Vincent avait utilisé le kitsch comme ressort pour échapper au pire. Avec Paradoxe il décide de ne plus s’échapper, de se coincer dans le cadre et de regarder le pire en face.
Jusqu’au 22 novembre en Salle Gabily dans le cadre du Festival du Théâtre national de Bretagne – Rennes puis du 15 au 26 janvier 2026 au T2G – Théâtre de Gennevilliers
Visuel : ©Gwendal Le Flem