Le festival Impatience a lancé sa compétition ce 10 décembre à la MAC, la soirée était composée de The Aborrrtion Ship, et donc de Noue. Le second spectacle aborde un angle mort, un sujet absent des plateaux : l’amitié entre les femmes. Reprenant le procédé du re-enactment,, Club.e Sensible donne de la voix à des tourments aussi déchirants que merveilleux.
Nous retrouvons Marie Filippi, Marine Fontaine et Maybie Vareilles déjà sur scène pendant l’entrée du public. Dans cette salle, la porte d’entrée est à l’arrière, ce qui nous oblige à concrètement faire le tour des comédiennes pour nous asseoir. Disons qu’on se rencontre un peu déjà. Elles commencent à s’affairer, et pendant les premières minutes on pense qu’elles ne vont faire que cela, s’affairer, comme s’affairent les femmes dans les représentations culturelles et les idées reçues. Mais voilà que leurs gestes décalent la rationalité. Les voici découpant une pomme, posée sur un rondin de bois, à la hache, dans un partage égal entre elles trois. On voit un bouquet dans un vase, deux néons, bientôt une belle peinture qui montre le fronton d’une chic maison donnant sur un chemin en pleine nature. Et puis elles se mettent à nous parler, à mettre des mots sur ce qui les relie.
Les comédiennes, comme chez Émilie Rousset, nous transmettent ce qu’elles entendent. Munies d’une oreillette, elles campent les hésitations, les tremblements de voix, les sourires des récits que Carine Goron a récoltés. Très vite on le comprend, ces histoires sont marquées par des montagnes russes émotionnelles. Il y a des ruptures qui ressemblent, en tout point, à la fin d’une passion amoureuse brûlante. Et ça, personne ne le montre jamais au théâtre. Il n’y a pas de représentation de la réalité des amitiés féminines autrement que sous une forme mièvre. Les trois Grâces, en quelque sorte, d’ailleurs caricaturées ici. Les témoignages s’enchaînent et nous attrapent par le bout du cœur. Pourquoi tombe-t-on en amitié ? Pourquoi, un jour, cela s’arrête-t-il, parfois violemment, parfois lentement ? Les histoires transmises nous offrent tous les cas de figure, il y a l’amie qui meurt, celle qui devient une autre que l’on ne comprend plus, celle qui déménage dans un autre pays… Mais toujours il y a une intensité qui dépasse toute autre relation humaine, même amoureuse, même familiale.
La metteuse en scène le dit en incipit, « Il se trouve que, dans mon histoire personnelle, ce sont des amies femmes qui m’ont fait le plus de mal mais aussi le plus de bien. » Elle ne le savait peut-être pas, mais, à en croire les récits collectés, cette phrase-là est un fait. L’amitié fait souffrir, elle nourrit aussi. Toute la difficulté du réenregistrement est d’entrer dans le corps d’une voix qui n’est pas la vôtre. C’est un peu la définition du théâtre, n’est-ce pas ? Sauf que là, tout est vrai, jusqu’au son des enregistrements qui nous parviennent par touches. Ont-elles appris par cœur ces paroles ou bien continuent-elles à les dire en temps réel, comme une interprète dans un colloque ? Les comédiennes évoluent dans leur posture en fonction de ce qu’elles reçoivent, leurs yeux brillent plus ou moins en fonction de ce qui est plus ou moins difficile à dire. On sort de là avec l’envie furieuse d’écrire à nos amies.
Le festival Impatience se tient jusqu’au 18 décembre.
Visuel :© Simon Gosselin