« Nos Pères ne rêvent plus en roumain », la fin du silence de Lia Ionel & Wanda Efremov-Bobescu

« Ne dis ni du bien, ni du mal, mais ne dis rien »

Tout commence dans l’intimité d’une soirée pyjamas entre copines. Planquées sous le drap, à la lumière de leur téléphone, elles discutent et prononcent un serment qui deviendra un mantra à inverser : « Ne dis ni du bien, ni du mal, mais ne dis rien ».

Très vite, elles sortent de leur cachette et assument leur différence. Toutes les deux ont en commun d’avoir un père roumain et une mère française, mais à vrai dire, leur problème concerne toutes celles et tous ceux qui ne sont pas exactement français.e.s de souche. Elles sont assignées à leurs manques : elles ne parlent pas la langue, elles en comprennent de vagues mots, elles n’ont pas la culture, elles ne vivent pas là-bas. Et tous les jours, tout le temps, elles doivent se justifier leur prénom qui s’épelle plus qu’il ne s’appelle. C’est épuisant, d’autant plus qu’elles ne savent pas. Que cette histoire, qui est un peu la leur, est marquée par le silence omniprésent de leurs pères qui ont fui la dictature de Ceaușescu.

« Aimer sans mots et peut-être préférable…

Si le sujet est plutôt grave, son traitement est volontairement tendre et léger. Les deux autrices et comédiennes, à la sororité généreuse, s’amusent à démonter tous les stéréotypes. Tout y passe : les roumains sont au choix des voleurs ou de piètres joueurs de violons. Dans le meilleur des cas, et ce n’est pas l’arrivée sur la scène de l’excellent et puissant Joan Brunet-Manquat qui dira le contraire, un roumain peut devenir un grand méchant mythique ! Par où transmettre une culture faite de trous et de caricatures ? Lia Ionel et Wanda Efremov-Bobescu répondent par ce qu’elles sont aujourd’hui : deux femmes, faisant du théâtre, en France, en 2024, et qui s’interrogent aussi sur comment faire du théâtre, en France, en 2024.

… car on ne sait jamais comment ils vont être traduits »

« Nos Pères ne rêvent plus en roumain » s’amuse des codes du spectacle, en jouant la corde mélo autant que celles des trucs et astuces du contemporain. Elles nous emmènent jusqu’à des fins ouvertes qui, dans la forme, disent le fond. L’unité d’une personne est faite de ses multitudes. Parfois, l’une prend le dessus sur une autre et vous oblige à prendre un train et un avion pour aller voir si celles et ceux de votre là-bas vous ressemblent à vous ici. La pièce, bien menée, est une délicieuse réflexion sur les troubles que traversent celles et ceux qui ne sont pas directement concerné.e.s par l’exil. Celles et ceux qui apprennent, par leurs corps et par les attitudes des autres, que ce qui les constitue est une belle richesse.