Quel lien y-a-il entre l’amour, l’ADN et la paix ? David Geselson part des mémoires du pionnier de la paléogénétique Svante Pääbo, Prix Nobel pour ses travaux qui ont permis de lire d’ADN de Néandertal. Au Festival d’Avignon, il nous livre une de ses pièces bouleversantes où la grande Histoire vient percuter nos vies…
C’est à Vedène que le Festival d’Avignon programme, jusqu’au 12 juillet, la création de Néandertal de David Geselson. L’on y suit les travaux d’un groupe de chercheurs internationaux qui se passionnent pour un nouveau domaine de recherche : faire parler l’ADN depuis des os de personnes mortes depuis des milliers d’années… voire de 500.000 ans quand il s’agit de Néandertal. C’est en plein Tchernobyl, à une conférence à San Francisco, que Rosa, Luca et Lüdo se rencontrent : les deux premiers forment un couple qui travaille à Berkley, le dernier est à Munich. Un triangle amoureux se forme, sur fond d’abandon paternel (Lüdo), angoisse panique de la guerre (Luca) et identité israélienne complexe (Rosa). Quelques années plus tard, c’est à Munich que les trois chercheurs se retrouvent, à peu près au moment des accords d’Oslo. Avec Adèle, une chercheuse qui se sait condamnée par un Alzheimer fulgurant, des lampes spéciales et la mise au point d’une chambre stérile, ils parviennent à lire une partie de l’ADN de Néandertal. Assez pour prouver que l’Homo Sapiens n’est pas le descendant de Néandertal, mais l’humain qui a survécu…
Par-delà les recherches sur la recherche scientifique et la rigueur des faits avancés, la fiction par le biais de l’histoire d’amour et de la quête identitaire, David Geselson truffe la pièce de références marquantes et profondes au judaïsme (l’ADN du père et du fils qui se déroule comme un rouleau de la Torah, la thèse des gênes mêlés à Jérusalem). Et en même temps, il établit, en bonne et due forme, par la bouche de ses scientifiques en crise existentielle, le danger. C’est très émouvant de revivre les discours de Rabin et Arafat à Washington, ainsi que la mort de Rabin. Ironie formidable : la plus grande collection d’os datant de Néandertal et dont les chercheurs ont besoin en cette fin de 20e siècle est conservée… à Zagreb, un étage au-dessus du bureau de recherches sur les disparus de la Guerre. Et à un moment où les tests ADN peuvent servir à retrouver les corps des morts et à constituer des preuves contre les criminels du génocide. La mémoire et l’histoire s’entrelacent et nous bouleversent dans l’histoire personnelle d’Adèle qui laisse des mémos vocaux à sa fille de 9 ans avant que sa raison ne fonde complètement. Mélodramatique, mais jamais kitsch, David Geselson sait tirer un rideau classique et mettre la terre en avant dans sa scénographie. Sur scène, il joue un excellent personnage chauve et cocu. Et surtout, il a cette faculté extraordinaire de nous donner à revisiter ce passé proche de la toute fin du 20e siècle sans nostalgie paralysante. En nous faisant reconsidérer ce que la fin de ce siècle-là nous a apporté comme inventions, exactions et aussi comme questions, il réussit à traiter le passé. Il le fait sans nostalgie avec une conception politique très puissante du passé : « Celui qui a le contrôle du passé a le contrôle du futur. Celui qui a le contrôle du présent a le contrôle du passé.» (G. Orwell).
(c) Christophe Raynaud de Lage