Présenté au Printemps des Comédiens dans la sublime pinède du Domaine d’Ô à deux horaires, pré apéro, ce « Molière et ses masques » a tout du bon festin, ne le ratez pas du 25 au 27 juin à La Villette, Paris, dans le cadre du Molière Fest.
En premier lieu, il faut préciser que ce spectacle est très relié à un lieu en ruralité, que Simon Falguières et sa compagnie du K, révélé par Le nid de Cendre en 2022, ont investi. Ils construisent leurs spectacles au Moulin de l’Hydre, ancienne filature normande reconvertie en lieu de résidence théâtrale. Pareillement, ils vivent dans cette « fabrique théâtrale » à la frontière de l’Orne et du Calvados. C’est ce qui fait troupe avant compagnie et dans cette « île d’utopie » comme Simon Falguiéres la nomme, il a rêvé et ils ont créé un spectacle le plus populaire possible tout en étant exigeant. Pour cela, il était nécessaire qu’il soit ultra-léger pour pouvoir tourner en décentralisé dans les communes alentours. Conçu très rapidement en septembre dernier, ce spectacle tout terrain qui peut partir se jouer en extérieur, dans des abris, des salles des fêtes, n’importe où avec juste un gradin et une scène, a toute sa légitimité au cœur de la pinède du Domaine d’ô et du festival. Si en plus la figure de Molière, le maitre, y est associée, celui dont le nom est synonyme pour le tout public de théâtre, de tréteaux et de comédie, le contrat est rempli. Car selon Simon Falguiéres « Molière incite tout un chacun à sortir de chez lui dans une certaine confiance déjà établie. ». Une façon de travailler sur un théâtre tout public et de s’implanter non seulement par des intentions manuscrites, mais par des actes dans un lieu, un village (Saint-Pierre-d’Entremont) un territoire et d’en valider son projet. La marche entre le Moulin de l’Hydre et la Comédie de Caen pour faire découvrir Molière et ses masques en a été le plus bel exemple.
Il s’en donne donc les moyens, avec peu. Le sang pour jaillir d’une poitrine n’a pas besoin de mécanisme sophistiqué, un petit enchevêtrement de laine rouge et le tour est joué, ajoutant de la poésie au passage. Et cette beauté du geste que l’on dirait gratuit s’il n’était le fruit de la mise en scène savamment pensé par Simon Falguières. Dans l’imbroglio propre à la comédia del arte se dessine des personnages tels le Mascarille qu’il joue, exceptionnellement en remplacement, qui sont à la fois personnages et individu de la troupe, Molière lui-même se mettant en miroir en scène. Molière critiquait avec humour les luttes de pouvoir et les rapports hommes-femmes, Simon Falguières les déconstruit encore pour les faire entrer dans notre époque. Molière est une femme, en jean et perfecto noir, les autres comédiens en costumes scintillant d’époque. À partir de ce premier trait affiché entre passé et présent se tise un canevas réussi de la vie et l’œuvre de cette icône du théâtre, les dialogues de chacun des deux auteurs se confondant non plus seulement dans une époque, mais une criante réalité. Au roi, Molière veut plaire en créant des fêtes démesurées pour épater la cour, sel le vocabulaire a changé, de président à JO les signes ostentatoires à brandir aux yeux du monde sont les mêmes. Les genres se mélangent dans les rôles attribués pour mieux en sortir l’intention du maitre, les sujets de ses pièces.
La deuxième partie, qui fait de Molière un spectre qui assiste au déroulé de sa propre vie, est la puissance de ce spectacle, davantage que la première partie plus conventionnelle, dans une forme de récit d’évènements. Ce qui pourrait être une simple présentation de la valse des malheurs de Molière se pose en prise de conscience de ses actes, même les plus Me Too devant un Jean-Baptiste Poquelin médusé de ce qu’il a fait. De L’Étourdi ou les Contretemps (1653), sa première grande comédie, jusqu’au Malade imaginaire (1673), sa vie, son œuvre se télescope dans une joyeuse pitrerie. La gravité des faits n’est pas exclue, elle est donnée en réflexion au public.
Une époque regarde une autre époque sans jugements, avec la subtilité de la possible remise en cause qui éviterait l’erreur.
Ce deuxième week-end du festival aurait pu s’intituler « Entre tradition, itinérance et modernité ». La programmation, en plus de nous offrir un très bel échantillon de la scène contemporaine, nous présentait un positionnement de l’art, qui s’appuie sur ses pairs pour s’inventer. Et qui en plongeant dans le passé, le répertoire, la tradition les sublime en les rendant, certes, intemporel, mais plus que tout en les plaçant en marqueurs sociétaux. De lumière de Jean-Baptiste Tur, ne dessers pas le débat sur la tauromachie, il fait émerger une communauté d’Occitanie codifiée et ancestrale des plus touchantes.
Décrochez-moi ça de Bêtes de foire s’appuie sur le théâtre forain, le cirque traditionnel avec chapiteau pour en faire émerger un théâtre d’objet poétique, inclassable, profondément humain dans le sublime de la création.
Hourvari de Rasposo en même temps qu’il affiche sa révolte, porte sur la piste la transmission dans ce qui est d’originel au cirque : la famille. Un spectacle intergénérationnel où la relève est assurée dans la pure tradition des valeurs circassienne de mère en fille, de mère en fils.
Musée Duras de Julien Gosselin en est, quant à lui, le point d’orge en mêlant figure incontournable des lettres et arts : Marguerite Duras, monument du passé et la relève avec la jeune promotion du Conservatoire National d’art dramatique de Paris.
Ces mêmes comédiens rejoignent Simon Falguières, qui a déjà mis en scène Le Rameau d’Or, spectacles de sortie des élèves au Conservatoire, rempile avec Fragments de la Forêt aujourd’hui Disparue.
Merci au Printemps des comédiens de nous avoir éclairé sur l’avenir du passé et le présent du futur.
En tournée : La Villette, Paris, dans le cadre du Molière Fest du 25 au 27 juin, Tous publics à partir de 7 ans
20h30 · Prairie du triangle – Folie N6
Durée 1h20
Visuel : © Michel Poussier