Joël Pommerat avait initié le projet de « remonter » la pièce de Pagnol avec des détenus de la maison centrale d’Arles. La pièce est sortie des murs pour arriver sur la scène de l’amphithéâtre d’O au Printemps des comédiens. Et le résultat est chargé d’une émotion vraie.
De septembre 2014 à décembre 2017, le metteur en scène Joël Pommerat s’immerge dans la maison centrale d’Arles pour y mener des ateliers de création théâtrale avec des détenus. D’aventure en aventure, de renoncements en avancements, c’est sur Marius, la célébrissime pièce de Marcel Pagnol que l’équipe se fixe. Elle la donne d’abord au sein de la prison d’Arles en décembre 2015, puis au centre pénitentiaire des Baumettes, à Marseille. En 2018, le metteur en scène déclare dans Libération alors qu’il vient de travailler avec ces hommes et la femme (actrice professionnelle pour sa part) : « J’ai vu des gens complètement éteints, et dont la motivation naissait. »
Car, incontestablement, l’envie de « faire » et la soif de nous éblouir avec leur travail, nous sont apparus sur la scène montpelliéraine comme la première évidence. Jouer sous les étoiles une pièce construite entre plus que quatre murs est un geste qui supplante le travail habituel des comédiens en création. Dépassement de soi, confrontation à « des gens » qui ne sont pas ceux qui les ont jugés et condamnés, liberté, simplicité dans les mots employés semblent les normes de ce travail singulier.
Avouons-le, on peut parfois être dubitatif sur l’adaptation de la pièce, fruit d’improvisations, sur les dialogues souvent basiques ou sur la réécriture côté pique de ce qui nous fendait le cœur dans la célèbre partie de cartes.
Mais ce qui, en fait, nous frappe au cœur, c’est la façon dont les comédien.ne.s se sont mis dans la peau de ces personnages imaginaires en y ayant aussi intégré une part importante d’eux-mêmes. L’écriture de Pagnol est simple comme la vie ; on y parle d’amour, et aussi de la difficulté de parler d’amour ; on y parle des relations entre enfants et parents ; on y parle des rapports de force entre « mâles » qui s’aiment bien, mais doivent marquer leur territoire et ne peuvent pas perdre la face ; on y parle de la difficulté des femmes à s’intégrer dans ce monde. On y parle de Marseille aussi et de la possibilité de quitter le petit bout de quartier où on tourne en rond pour partir vers des terres inconnues.
Et dans ce petit jeu de bord de canebière, dans une boulangerie plus vraie que nature désertée par la plupart des clients, on prend plaisir à voir évoluer le touchant, car si pudique et parfois hésitant, Michel Galera (Marius), le touchant, car plein d’amour, Jean Ruimi (César), la touchante, car prête à bien des sacrifices, Élise Douyère (Fanny), le touchant, car grande gueule imposante, Bernard Traversa (Panisse), ainsi que Damien Baudry, Ange Melenyk, Redwane Rajel et Ludovic Velon.
Alors, au final, même si le résultat a un petit côté « Plus belle la vie », l’émotion de vies « qui n’ont pas été si belles » pour les comédiens rejaillit avec une belle énergie.
Visuel : Agathe Pommerat