Le Théâtre du Point du Jour, à Lyon, propose régulièrement à des metteurs et metteuses en scène de travailler sur des questions d’actualité en lien avec des journalistes. Les 7 et 8 novembre 2023, il a ainsi réuni la metteuse en scène Lucie Berelowitsch, directrice du Préau-CDN de Vire, et Rokhaya Diallo, journaliste et documentariste spécialisée dans les questions de racisme. Elles proposent au public d’analyser avec elles le rôle des mémoires dans la lutte contre le racisme.
Les violences policières à l’égard des jeunes issu.es de l’immigration ont fait l’objet d’une forte médiatisation au début de l’été, avec le meurtre de Nahel Merzouk par des agents de police. C’est de cette question que Lucie Berelowitsch a souhaité s’emparer ; elle a alors tout naturellement fait appel à Rokhaya Diallo, dont le travail sur le racisme systémique est reconnu.
À deux, elles abordent le rôle de la colonisation et des médias dans le maintien d’un racisme systémique, mais aussi celui des mémoires comme instruments de lutte contre le racisme. Le déboulonnage des statues, l’épineuse question des noms de rues font ainsi l’objet d’une analyse qui s’appuie sur des travaux d’historiennes contemporaines.
Cette édition du projet de Grand ReporTERRE est une réussite : le choix de Lucie Berelowitsch a été de marquer sur les plans dramaturgique et scénique le caractère politique de son sujet, en reproduisant au plateau les dispositifs de prise de parole des journalistes et éditorialistes.
Nous passons ainsi de moments d’interviews à des talk-shows et à des podcasts qui permettent à Rokhaya Diallo de développer ses propos sans sombrer dans l’écueil du spectacle didactique. Au contraire, ce dispositif rend le public acteur du spectacle, qui est d’ailleurs prolongé par un échange avec la salle au cours duquel chacun et chacune peut s’exprimer, autant sur les questions artistiques que sur les sujets politiques abordés.
D’autres éléments inscrivent nettement cet événement dans le genre spectaculaire et le distinguent du simple discours politique. Les moments d’échange sont entrecoupés de chansons de Cindy Pooch, artiste dont le travail musical aborde les questions de racisme et s’inspire de chanteuses de jazz américaines comme Nina Simone.
À cette illustration sonore de son origine africaine répondent des symboles visuels, comme les tissus wax posés en fond de scène. Le son et l’espace sont ainsi marqués par les mémoires familiales de la journaliste et de la chanteuse comme par les jeux médiatiques dans lesquels s’inscrivent les discours sur les questions de race et de racisme.
Enfin, des extraits d’émission avec Rokhaya Diallo sont projetés et analysés par les deux protagonistes principales. La journaliste et la metteuse en scène rejouent les enjeux de ces passages à la télévision avec une complicité évidente, qui participe du plaisir du public.
Si les transitions pèchent parfois par leur brutalité, la huitième édition de ReporTERRE parvient à inventer un genre hybride, qui emprunte au théâtre et au débat politique de façon plus convaincante que bien des spectacles de théâtre documentaire. L’adresse réelle – et non seulement formelle – au public renouvelle en effet le théâtre brechtien en sollicitant véritablement chacun et chacune des spectateurs et spectatrices.
Visuel : ©Bertrand Gaudillère