Pour trois soirs seulement, Carole Thibaut se met en scène sur le fond et la forme au théâtre de la Bastille dans Longwy-Texas. Face au public et armée d’images d’archives personnelles, elle règle ses comptes avec son père de façon… métallurgique.
Dans sa forme, Longwy-Texas est une lecture avec projection d’images. Seule au pupitre, texte devant les yeux et ordinateur posé devant elle, elle attaque : « Je suis née en Lorraine, en 1969, à Longwy. » Le public parisien du théâtre de la Bastille est divisé entre celles et ceux qui savent et celles et ceux qui ne savent pas. Longwy ? Et puis quel rapport avec le Texas ? Eh bien, Longwy a été, mais n’est plus, le fleuron de l’industrie française. Aujourd’hui, le bourg est une cité-dortoir écrasée par sa proximité avec le Luxembourg. Carole Thibaut mêle donc les grandes et les petites histoires pour nous raconter, avec une immense colère, à la fois les mensonges de sa famille, l’abandon de l’État et le silence sur l’histoire ouvrière.
Dans ce monde-là, les femmes n’ont pas voix au chapitre, elles sont cantonnées, dans cette deuxième partie du XXe siècle, à des statuts archaïques. La maison, les gosses. « Elles suivaient leurs maris », et elle, Carole, enfant, se sentait comme « une fille au pays des pères », « petit bout de fille sans importance ». Plus la pièce avance, plus le portrait qu’elle dresse de ce père est sombre. Il frappe, humilie, se prend pour un autre, lui qui n’a jamais vraiment dirigé LA forge, « son usine », contrairement à ce qu’elle pensait.
Il faut tuer le père disait Freud, symboliquement bien sûr. Carole Thibaud dit qu’il faut « salir le père » pour pouvoir grandir, un jour, enfin.
Au-delà du règlement de compte familial, pour le coup très texan, Longwy-Texas est un cours d’introduction à la culture sidérurgique lorraine, option grandeurs et décadence. La pièce est alors le portrait d’une époque, grandement révolue, sur des mondes engloutis par la lave qui sortait de ces forges puissantes (phalliques ?).
Il en faut du courage pour oser dénoncer sa famille en public, chaque histoire est singulière. Carole Thibaut, aujourd’hui directrice du CND de Montluçon, le fait avec la rage qui la caractérise, pleine de ses combats pour rompre l’inégalité femmes-hommes. On sort de là avec l’envie d’aller plus loin dans cette histoire si brève, à peine un siècle, et pas mal oubliée aujourd’hui.
Du 4 au 6 mars au théâtre de la Bastille
Visuel : © Christophe Raynaud de lage