Les Zėbrures de Printemps nous mettent face aux horreurs du monde
par Julia Wahl23.03.2025
Est-il encore besoin de présenter les Francophonies – Des écritures à la scène à nos lectrices et à nos lecteurs ? Deux fois par an, la ville de Limoges se pare de noir et de blanc pour proposer au public des textes francophones issus des quatre coins du monde, pour la plupart inédits. Si les Zėbrures d’automne voient ces oeuvres faire l’objet de véritables mises en scène, les Zėbrures du printemps en constituent un premier accès, grâce à de nombreuses lectures.
Une édition très politique
Ces lectures sont réunies lors d’un week-end, nommé «Exclamation», au Centre culturel municipal Jean Gagnant, partenaire de longue date du festival. Elles sont accompagnées d’un important travail de médiation dans des bibliothèques et des établissements scolaires, qui en dit beaucoup sur l’ancrage territorial du festival.
Pour l’heure, donc, les lectures se déploient du 21 au 23 mars. Un week-end symbolique : le 22 mars était en effet cette année une journée internationale de mobilisation contre le racisme et le fascisme. L’ampleur et le succès des manifestations, y compris dans de toutes petites villes, est à l’image de l’inquiétude suscitée par la progression de la haine raciste. À ce titre, fréquenter et soutenir les Zébrures, c’est affirmer la présence d’une multitude de récits différents, divergents, qui tentent de décoloniser les imaginaires.
Cette lutte contre le racisme et le néo-colonialisme fait aux Zébrures partie du quotidien : l’obtention de visas pour les artistes programmé.es est de plus en plus difficile et l’autrice haïtienne Phannuella Tommy Lincifort, dont le texte On ne part pas en guerre avec une vie qui danse ! était mis en scène samedi, n’a pas pu venir à Limoges. À la dénonciation du durcissement des lois anti-immigration s’est ajoutée celle des vertigineuses coupes dans les budgets culturels de l’État et des collectivités.
La question du très grand âge
Le face-à-face avec le réel, à Limoges, c’est toutefois avant tout par le truchement des textes et des spectacles qu’il a lieu. La Vénus de 5743 ans d’Olivia Csiky Trnka donne ainsi voix aux femmes vieillissantes, reléguées dans des EHPAD. L’intérêt de son texte est de faire entendre la souffrance liée au très grand âge, mais aussi et surtout le rôle de la société dans cette mise au ban. Au premier plan, la condescendance avec laquelle nous regardons les plus âgé.es d’entre nous, réduit.es à obéir comme de très jeunes enfants, mais aussi le pouvoir destructeur du capitalisme qui, comme l’a montré un récent scandale, encourage de fait, à force d’économies, le personnel des maisons de retraite à maltraiter les patient.es. Le texte de l’autrice slovaque alterne ainsi le point de vue de la vieille dame et de son aide-soignante, pour donner une vision d’ensemble de cette situation.
La violence des gangs
À l’autre bout de l’Atlantique, On ne part pas en guerre avec une vie qui danse ! met en scène un dialogue entre une mère et son enfant avorté, convoqué grâce à une cérémonie vaudou. Fruit d’un viol collectif, ce dernier interroge la première sur les causes de ses actes. Ce n’est que progressivement, grâce à ces échanges qui semblent ne laisser place qu’à des bribes de récits, que l’histoire de la jeune femme apparaît. Le texte met en mots avec précision ce que signifie, au quotidien, la violence des gangs pour les habitants et habitantes de Haïti.
La mémoire du génocide rwandais
Le clou du week-end fut le magnifique Hewa Rwanda. Lettre aux absents, de Dorcy Rugamba. L’auteur s’y livre à une longue adresse à ses proches, massacré.es en 1994. Seul survivant d’une terrible tuerie, il évoque leur vie d’avant, relativement insouciante, avec des parents instituteur et institutrice engagé.es contre le colonialisme. Dorcy Rugamba porte lui-même, au plateau, sa langue d’une grande clarté et d’une grande beauté, qui dit l’amour qu’il porte à ses mort.es.
Une invitation à la tolérance
Au milieu de cette géographie de l’horreur, peut-être faut-il mentionner Garçon chasseur, de l’auteur québécois Pascal Brullemans. Cette pièce jeune public se présente comme un apologue enchanté du nécessaire accueil de toutes et de tous par celles et ceux qui veulent faire société et comme une satire du capitalisme contemporain. On y rit, on y chante et les enfants du public aussi. Il n’empêche : la politique, dans cette édition des Zébrures, s’invite à chaque spectacle.
Festival Les Zėbrures du printemps, Les Francophonies – Des écritures à la scène.
Visuel : Les Zėbrures du printemps, Les Francophonies – Des écritures à la scène / Terror Print
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