Une comédienne et cinq comédiens de la Comédie Française s’amusent à revisiter Gainsbourg, non pas par de nouveaux arrangements mais plutôt en nous emmenant en balade musicale dans un répertoire qui à force de succès est devenu populaire.
Créé en 2019 au Studio de la Comédie Française, la création musicale Les Serge (Gainsbourg Point Barre) s’offre depuis une belle tournée qui passe jusqu’au 26 juillet par la Scala Provence dans le cadre du Off d’Avignon. Un signe de démocratisation pour certains : le reste de la troupe est depuis le 19 juillet dans la cour d’honneur avec Le Soulier de satin. Pour d’autres, une juteuse accroche marketing, d’autant plus que Rebecca Marder a quitté la Comédie Française depuis 2021. Peu importe, le « Français » n’a plus à démontrer qu’il est totalement dépoussiéré, que la jeunesse et la diversité y sont représentés et nombre de grands acteurs du cinéma désormais passés par là (Laurent Laffite, Pierre Niney…). Alors partons en balade.
Sur scène se trouvent six versions d’un Serge, le Gainsbourg que chacun porte en lui dans son approche du mythe ou de l’homme. Rebecca Marder, Stéphane Varupenne, Benjamin Lavernhe, Sébastien Pouderoux, Noam Morgensztern et le virevoltant Axel Auriant, qui vient d’être nommé en mars 2025 artiste auxiliaire à la Comédie-Française, s’échangent places et instruments. Ils sont tous, dans leurs carrières, multi-cartes : écrivains, musiciens, chanteurs, ingés son… Des liens intimes ou professionnels les lient. Nous avions par exemple vu Noam Morgensztern et Stéphane Varupenne ensemble dans une mise en scène de Thomas Ostermeier du Roi Lear de Shakespeare. Stéphane Vaurienne était également avec Benjamin Lavernhe dans l’Opéra de Quatre sous, l’été dernier au Festival International d’Art lyrique d’Aix en Provence, qu’ils ont tous les deux largement sauvé par leur incandescente présence. Pas besoin de développer plus : il s’agit d’une bande de potes qui s’amusent et veulent nous faire partager leur plaisir de jouer ensemble en évoquant une de leurs idoles, chaussés à l’unanimité des Repetto blanches de l’artiste. Nous retrouvons le Gainsbourg « commun » à tous avec ses tubes, la reprise de ses codes vestimentaires du jean chemise, au col roulé noir, les cigarettes, l’alcool, ses frasques médiatiques et surtout les propos « trop – intelligents » marqués par un « Encore une belle réponse » qui revient en running gag tout au long du spectacle. Spectacle ou plutôt du concert ?
Ceux qui estimeraient que nous assistons à des reprises trop faibles de Gainsbourg se seraient trompés de spectacle : il n’y a aucune intention d’essayer de se mettre à la hauteur du chanteur de légende. La troupe de la Comédie Française fait de Serge un septième membre de l’équipe, qui serait parti, et dont on raconterait la vie en faisant quelques bœufs en son honneur. Rebecca Marder, Stéphane Varupenne, Benjamin Lavernhe, Sébastien Pouderoux, Noam Morgensztern et Axel Auriant ont ce respect de l’œuvre, qu’elle soit une pièce de répertoire de la Comédie Française ou un monument de la chanson française. Il y a du Français et même des français dans Les Serges, un peu de chacun d’entre nous. À l’écoute de tel refrain, d’une phrase puissante du Serge, nous revient en mémoire qui nous étions et avec qui nous écoutions ces chansons à cet instant-là. Nos amours, nos ruptures ont été Gainsbourgdiennes, ses passages télé sulfureux ont été au cœur de nos conversations. Les chansons de Gainsbourg sont des marqueurs de temps tout autant que des refrains intemporels.
L’Homme à tête de chou crée par Jean-Claude Gallotta et dans lequel Alain Bashung devait chanter si la mort ne l’avait attrapé avant nous avait totalement convaincu et charmé. Faut-il chercher ce qui démarquera Les Serge (Gainsbourg Point Barre) des autres ? Ou juste se laisser porter ?
Le public venu en nombre, qui est allé pour la plupart dans sa jeunesse applaudir le Serge, l’unique, le Gainsbourg, se sent frustré : il n’en retrouve ni l’intensité ni la qualité musicale.
En balade nous n’atteignons pas toujours des sommets ; le moment et la découverte n’en sont pas moins plaisants, partageables et recommandables.
« Je ne veux pas qu’on m’aime mais je veux quand même »
Du 15 au 26 juillet à La Scala à 21h30 / 1h20
Le Festival d’Avignon se tient jusqu’au 26 juillet. Retrouvez tous nos articles dans le dossier de la rédaction.
Visuel : ©Vincent Pontet, coll. Comédie-Française