C’est un rendez-vous attendu des curieux et curieuses de littérature théâtrale contemporaine : le festival ZOOM, organisé par Théâtre ouvert. Cette dizaine édition, qui mettait par exemple à l’honneur Aimer en stéréo, de Gaëlle Bien-Aimé, s’est achevée ce week-end avec une soirée dédiée à deux autrices bien ancrées dans leur époque : Agathe Charnet et Sarah Tick.
La première a trente-quatre ans, le seconde quarante-cinq. Chacune nous livre, dans leurs pièces en forme d’introspections, leurs relations à leurs parents.
L’accueil du public a tout d’abord des allures de spectacle participatif, qui a nom « Le jeu de la mort et du hasard » : devant un autel où se mêlent des livres et des vieux vinyles, les deux autrices interpellent joyeusement spectateurs et spectatrices. Que leur demandent-elles ? Que lèvent la main celleux qui ont déjà vu Joan Baez ? Qui a vu Au hasard Balthazar ? Mais aussi, qui a déjà enterré des proches ?
Cette soirée mêlera donc rires et douleurs intimes et personnelles. Agathe Charnet évoque ainsi la figure de sa mère, cinéphile contrariée par un syndrome de l’imposteur et par un mari qui, sûr de son génie, la réduit bientôt à une simple intendante : pour que les mains du génie écrivent, il faut que celles de sa femme range, nettoie, plie, balaie… À travers cette figure maternelle, l’écrivaine montre que si, comme le veut le diction, « derrière chaque grand homme, il y a une grande femme », la vie de cette dernière est faite d’abnégations, de fatigues et de renoncements.
La force du texte – Peut-Être le Hasard – tient en grande partie au fait qu’Agathe Charnet ne se contente pas d’énumérer les mini labeurs et micro humiliations subi·es par sa mère des années durant. Elle mêle au récit de sa vie celui de pans entiers de Au hasard Balthazar, film fétiche de sa mère, qui se serait bien vue critique aux Cahiers du cinéma. L’humour est aussi présent, qui emprunte à l’héroïcomique en racontant avec une grandiloquence ironique le coup de foudre entre sa mère et celui qui deviendra son tortionnaire et mari.
Lors de la lecture, le texte était dit à trois voix par Julie Julien, Clara Lama Schmit et Léopoldine Hummel, qui accompagnait régulièrement au clavier son texte des musiques des films favoris de la maman. La subtilité de jeu de cette dernière rendait grâce aux différentes nuances du texte.
De son côté, si Sarah Tick use à son tour de références culturelles pour évoquer le souvenir de ses parents, il s’agira bien plus des chansons des années 1960 et 1970 sur lesquelles ces derniers ont chanté et, autant le dire, bien fumé. C’est surtout la figure de son père qui l’intéresse, cet Américain qui rata Woodstock à cause d’un acide et qui mourut d’une hépatite consécutive à une perfusion au sang contaminé.
L’histoire qu’elle nous livre dans Au hasard mon père est moins celle de ce père que celle de sa quête de coïncidences signifiantes, dignes de Tyché, la déesse de la destinée, dont le nom est si proche du sien. Comme l’année de naissance de son géniteur, 1946, qui correspond à celle du ministre responsable du scandale du sang contaminé – qui n’est jamais nommé, mais que, tou·tes, bien sûr, ont identifié. Elle s’entretient alors avec la comparatiste Anne Duprat, qui lui répond par le truchement d’un enregistrement, sur la valeur dramaturgique de ce qu’elle perçoit comme des hasards surprenants.
Jouant sur scène son propre rôle, elle fait alterner récits de sa vie et retranscriptions de la rencontre entre ses parents, qu’elle imagine drôle et joyeuse, avec son comparse Florian Choquart, qui incarne avec succès ce père gai et léger.
Il n’y a que des rendez-vous, programme de deux spectacles : Peut-Être le Hasard, texte d’Agathe Charnet, avec Agathe Charnet, Léopoldine Hummel, Julie Julien, Clara Lama Schmit et Au hasard mon père, texte de Sarah Tick, avec Sarah Tick et Florian. Dramaturgie et écriture plurielle : Sarah Tick, Damien Dutrait, Sephora Haymann, Anne Duprat.
Dans le cadre du Festival Zoom.
Visuel : Théâtre ouvert