« Les Perses », Gwenaël Morin cherche la simplicité du drame

« La douleur totale »

Depuis 2023, et normalement pour quatre ans, Gwenaël Morin crée, pour chaque Festival d’Avignon, une pièce issue du répertoire, en lien avec la langue invitée. Là, on tique un peu. La première année, pour l’anglais, il avait convoqué Le Songe d’une nuit d’été ; l’an dernier, avec l’espagnol, c’était Don Quichotte qui soignait sa folie à l’ombre du Palais des Papes. Cette année, pour l’arabe, il choisit Les Perses, c’est-à-dire un texte… grec. Ne pinaillons pas trop et revenons à cette histoire, qui nous rappelle de garder les pieds sur terre.

Dans Les Perses, Eschyle se place du point de vue des perdants. Prêts à en découdre, armés jusqu’aux dents, nos Perses se font laminer par les Grecs. Le texte qui nous est parvenu est incomplet : un bloc sans climax, un drame pur et simple où les mots « hélas » et « malheur » sont les héros et héroïnes du jeu.

« À nos malheurs, s’ajoute encore un malheur »

Cela, Gwenaël Morin l’a compris, en dessinant au centre du jardin de la rue de Mons deux cercles qui s’entrelacent. Il pousse son geste d’épure au maximum. Cela lui sera reproché, pas assez de mise en scène, pas assez de niveaux de jeu. Et pourtant, faut-il en faire des tonnes en mode tragédie pour que la tragédie soit dite ? Il suffit ici d’écouter la Reine être « inondée de pleurs », le chœur qui, face public, multiplie les « une fois, deux fois, mille fois hélas ». À même la terre brûlée par les différentes canicules, Jeanne Bred, Fabrice Lebert, Gilféry Ngamboulou et Julie Palmier se jettent dans cet « océan de malheur ».

« Moi aussi, je sens le souci déchirer mon cœur »

Il s’agit du résultat d’un atelier que Morin mène depuis 2023 avec des interprètes professionnels, ici, à Avignon. Leur fragilité de jeu vide le texte de sa sacralité et le rend poreux, fragile. Loin d’être repoussante, cette simplicité presque candide nous plonge dans la banalité de l’horreur qui nous entoure, ici et maintenant, partout et tout le temps.

Évidemment, les références fusent, et les comparaisons s’invitent dans la tête des spectateur·ices assidu·es du Festival. On se rappelle de Mireille Herbstmeyer, Philippe Girard et Frédéric le Sacripan incarnant la peine jusqu’aux entrailles. Morin choisit d’inverser l’interprétation, il pose un geste beau et net, où son quatuor tourne en rond, marque un temps de suspension. Ce faisant, il essore la fascination pour un drame qui nous dépasse. Sa version des Perses, loin d’être un fiasco, affirme qu’Eschyle appartient au corps collectif, et que des enfers à la surface, les humain·es sont inlassablement surpris d’avoir présumé de leurs forces.

« Total Pain », For the third year of his four-year commitment at the Festival d’Avignon, Gwenaël Morin stages The Persians by Aeschylus, connecting it this time to the Arabic language invitation, despite the Greek origin of the play. With minimalistic staging in the Jardin de la rue de Mons, Morin strips down the tragedy to its raw core, lamentation, loss, and the downfall of the mighty. A cast of professional actors from his ongoing workshop deliver a fragile and moving performance that renounces theatrical grandeur in favor of a stark, emotional truth. The piece challenges our relationship to ancient drama, affirming its enduring resonance within a collective body haunted by conflict and failure.

الملخص بالعربية

« الألم الكلي »، في عامه الثالث من مشروعه الممتد لأربع سنوات في مهرجان أفينيون، يقدّم غوانيل موران مسرحية « الفُرس » لإسخيلوس، وذلك ضمن إطار اللغة العربية المستضافة، رغم أن النص أصله يوناني. بعرض بسيط ومُجَرَّد في حديقة شارع « مون »، يُفرغ موران التراجيديا من زينتها ليُبقي على جوهرها الخام، الرثاء، الخسارة، وسقوط العظماء. يؤدي العرض أربعة ممثلين محترفين ضمن ورشة يقودها موران منذ 2023، ويقدّمون أداءً هشًا وعاطفيًا، بعيدًا عن الجلال المسرحي، لكنه يلامس القلب. العرض يعيد مساءلة علاقتنا بالتراجيديا القديمة، ويؤكد أن إسخيلوس لا يزال يتحدث بلسان الجسد الجماعي المرهق بالحروب والانهيارات.