On se souvent de cette chemise arrachée de cadres d’Air France, devenue virale en un rien de temps, et érigée par toutes et tous au rang d’événement majeur des violences politiques. Élise Chatauret et Thomas Pondevie s’emparent de cette histoire pour interroger notre rapport à la violence et à ses différentes formes.
Si le spectacle s’ouvre sur ce fameux événement d’une chemise arrachée, celui-ci quitte bientôt le tarmac de l’aéroport pour nous emmener dans différents lieux et moments d’apprentissage de la violence et de son éventuelle légitimité : une école, une chambre d’adolescence, des bureaux de grandes entreprises et une école de management où les cadres dirigeants apprennent à pousser les salarié.es vers la sortie sans les licencier, évitant ainsi de leur verser des indemnités de licenciement.
Ce débordement, hors du seul fait divers, a pour ambition d’interroger les différentes formes de violence à l’œuvre dans la société contemporaine : la violence physique, certes, avec des adolescent.es qui se battent ou reçoivent des coups sous l’œil effaré ou complice de leurs parents, mais aussi la violence morale que sont le harcèlement scolaire ou professionnel et, bien sûr, les rapports de classe. Pour faire entendre cette dernière violence, les deux auteur.es et metteur.ses en scène proposent, en parallèle au procès Air France, un haut lieu de la violence de classe : France Télécom et ses vagues de suicides.
Ce dispositif dramaturgique pêche toutefois par son absence de véritable théâtralité. Les leçons des enfants et la reconstitution des cours de management ont un fort goût de déjà vu, au théâtre comme au cinéma. En effet, les vagues de suicides de France Télécom avaient déjà entraîné leur lot de films et de spectacles sur le sujet. Là est le problème posé par Les Moments doux : tout semble avoir été dit sur le sujet et, sur le plan scénique comme sur le plan politique, la pièce n’apporte rien de neuf.
Certes, les couleurs un peu pop de la scénographie et le titre, un rien ironique, de la pièce, mettent en évidence le fonctionnement de cette violence de classe qui se cache derrière un décor rassurant. Toutefois, cet univers participe de la constitution d’un monde confortable autant pour le public que pour les actionnaires : si le but du spectacle était de rendre visible la violence symbolique, il ne parvient pas à toucher véritablement le spectateur. On écoute, certes, les propos des un.es et des autres, mais on reste sur le côté, à l’abri de toute violence véritable. Le didactisme excessif de la pièce anesthésie notre colère et nous laisse, nous aussi, dans une situation un peu trop douce, sinon douillette.
Les Moments doux, Élise Chatauret et Thomas Pondevie, Théâtre des quartiers d’Ivry. Du 12 au 20 octobre.
Du mardi au vendredi à 20h, le samedi à 18h et le dimanche à 16h.
Visuel © Christophe Raynaud de Lage