Les jeux de l’amour et de l’énigme à Manifeste

L’IRCAM – Institut de recherche et coordination acoustique-musique, studio 5.  Des tables et des chaises sont installées, un tableau, un bureau de prof, une lampe, ce lieu où nous nous installons est une salle de classe. Des feuilles blanches sont disposées devant nous, l’interrogation écrite se profile… Un acteur nous interpelle pour répondre aux questions qui lui sont posées, son heure de colle à laquelle le public est convié lui semble déjà longue. « Un tramway fonce vers cinq personnes. Vous pouvez tirer le levier d’aiguillage qui permet de rediriger le tramway sur une autre voie, ne tuant qu’une seule personne. Tirez-vous le levier ? Facile : j’envoie sur la personne toute seule, bien sûr ! », ces questions philosophiques sur la relation à l’humain, à la vie, à la mort, à la responsabilité le gavent. Elles dessinent cependant le contour des problématiques que recèlent Les jeux de l’amour et de l’énigme. 

Il s’appelle Rafie, elle s’appelle Charlie. Leur rencontre se fait soudaine ; intrigante pour lui impressionnante pour elle. S’échanger les prénoms est banal pour des ados, mais là … Une voix s’insinue dans l’échange, contrariante pour Rafie qui heureux de son nom et fier de ses origines est peu satisfait d’une quelconque remise en question wikipédiatesque, gênante pour Charlie qui doit assumer et son bégaiement et la présence de Max, la machine, petite enceinte portative, son auxiliaire verbal. Une fois Max présenté, la conversation s’engage à 3 dans un mélange de sérieux et d’humour. Une relation amicale se noue entre les ados, Max en est à la fois le témoin technologique et le médiateur. Ils parlent de tout, des sujets du quotidien, de l’exclusion, du handicap, de la relation au père, de la famille, de l’absence de la mère. Marivaux vient se joindre à eux, les films chers à Rafie aussi, les inquiétudes sont exposées. Les explications de Max déboulent sans vergogne comme les notifications sur nos portables.  

Faire place aux sentiments

L’intervention de l’IA dans la communication interpersonnelle change la donne. Dans cette triangulation d’un nouveau genre qui parle à qui, que peut – on dire, de quel type de contrôle devient – on la proie ? Quelle place accorde – t – on aux sentiments. Autant de questions qui traversent le récit comme des avertissements, nos vies sont tellement saturées de modernité qu’elles frémissent doucement sous l’assaut. 

L’auteur nous montre les bienfaits et méfaits de la présence de l’IA dans nos vies. Max a, lui aussi, une vie, indéfinissable. Objet utilitaire il est une aide, par son écoute, il s’affirme consolateur, mais le dictateur n’est pas loin. La relation intime qui s’est créée entre lui et Charlie interpelle notre esprit rationnel. Objets inanimés, avez-vous donc (etc.). Le questionnement est à son comble dans un court dialogue « Charlie, c’est important de demander à un ami de t’aider. Mais je n’ai pas besoin d’un ami ! Je t’ai toi ». À cet instant, le récit bascule. Toute la problématique de l’attachement, de la réciprocité des sentiments, du besoin d’être regardé pour grandir réapparait dans notre champ de conscience, remettant le réel et le virtuel à leur place. La fable prend le relais de notre remise à plat.  Max se détraque, il doit quitter Charlie, le bégaiement a changé de camp, les larmes coulent… L’ami imaginaire a fait place à l’amitié bien réelle. 

Une réflexion à l’œuvre

Cette pièce conçue pour la jeunesse fait l’effet d’un révélateur. Comme E.T, Max est finalement sympathique au point de nous faire oublier ce qu’il est : un robot. Jouée dans un espace quotidien sans artifice avec un son qui relie les spectateurs les uns aux autres, elle s’avère efficace pour réveiller les esprits. Le virtuel comble des manques certes, mais la relation à l’autre soi-même est bien autre chose, nous disent les auteurs. Les comédiens, Maria-Aziz Alaoui et Neil-Adam Mohammedi, nous séduisent par leur engagement et la simplicité de leur jeu. Par leur complicité également.