Le Théâtre de la Bastille accueille, jusqu’au 11 février, un très beau spectacle de Gurshad Shaheman qui illustre, par le parcours exemplaire de sa mère et de ses tantes, la terrible condition des femmes iraniennes et des réfugiées.
Trois femmes entourent Gurshad Shaheman : sa mère et ses deux tantes, dont l’une vit en Allemagne et l’autre à Téhéran. Sa mère, elle, vit en France ; trois femmes aux destins divers, mais qui, toutes, se rejoignent sur un point : l’extraordinaire courage dont elles ont dû faire face pour surmonter des vies faites de coups, de tortures et d’humiliation.
« Extraordinaire » : c’est peut-être ce mot qui dérange. Car si pour nous, à Paris, les récits auxquels ces femmes se livrent relèvent bien de l’extraordinaire, leurs ressemblances nous forcent à admettre cette cruelle évidence : en Iran, les horreurs qu’elles ont vécues sont bel et bien la norme.
Nées en Iran dans une famille progressiste, les trois femmes semblaient dans un premier temps vouées au bonheur. Pourtant, la Révolution de 1979, ainsi que la violence conjugale à laquelle elles doivent faire face au quotidien, auront raison de cette parenthèse que fut leur enfance. La mère de Gurshad Shaheman, l’aînée de la famille, nous raconte son goût pour l’étude. Elle dut toutefois interrompre son parcours universitaire lors de la Révolution et un mariage arrangé avec un homme d’une grande violence eut définitivement raison de ses aspirations. Il ne resta plus alors comme issue que l’immigration en France, avec, là aussi, de nouvelles embûches et humiliations.
La cadette, Shirine, connut pour sa part la torture réservée aux militant.e.s avant de trouver refuge dans une Allemagne peu hospitalière. Seule la puînée semble avoir réussi – malgré les difficultés provoquées par la guerre Iran-Irak – à mener une vie d’adulte relativement heureuse, avec un mari aimant. C’est la seule, on l’a compris, à être restée en Iran.
Ces (auto)biographies sont assumées par une instance duelle : ses tantes ne parlant pas français, Gurshad Shaheman eut l’idée de faire dire leurs récits par trois comédiennes franco-iraniennes, Guilda Chahverdi, Mina Kavani et Shady Nafar. À elles la voix, aux tantes et à la mère, le corps. Les trois actrices s’adressent alors, non au public, mais au metteur en scène, qu’elles appellent par son prénom. Durant ce temps, mère et tantes s’activent, dressant une table ou préparant du pain. Si leur présence paraît dans un premier un peu illustrative, leur part active au spectacle va s’accroissant.
Les spectateurs et spectatrices sont, pour leur part, réparti.es dans la salle ou assis.s.es, à même le plateau, sur des sièges recouverts de lourds tapis persans. Par ce choix scénographique, Gurshad Shaheman parvient à figurer son pays d’origine sans tomber dans l’écueil de l’exotisme et du folklore. Un éclairage sombre, réduit pour l’essentiel à des douches qui mettent en lumière la comédienne qui parle et la parente qu’elle représente, participe d’une impression d’intimité.
Les récits des trois femmes sont saisissants de précision. Ils font entendre des horreurs nouvelles, volontiers tues, qui ne laissent pas indemnes. Les comédiennes les portent avec justesse et simplicité, intégrant à cette communion familiale un public suspendu à leurs lèvres.
Les Forteresses, de Gurshad Shaheman, du 5 au 11 février au Théâtre de la Bastille.
Visuel : © Agnès Mellon