Les chambres à soi d’Aurélie Van Den Daele au TQI

« Ici, je repris mon souffle »

Tout commence en janvier 2021. Hassane Kassi Kouyaté, directeur des Francophonies des écritures à la scène, exprime « son regret de ne pas voir suffisamment de femmes metteuses en scène au sein du festival. » Il explique que, sur le continent africain, les femmes doivent divorcer pour pouvoir être artistes. Il propose alors à Aurélie Van Den Daele de réaliser une commande répondant à la question : « Je crée et je vous dis pourquoi » en explorant ces axes : comment raconter aujourd’hui le désir créateur des autrices ?

Et nous voici, quatre ans plus tard, réuni.e.s dans le hall immense – mais alors immense – de cette ancienne manufacture d’œillets, qui a gardé tous les volumes de son passé ouvrier. Nous sommes séparé.e.s en trois groupes et allons suivre un chemin qui nous amènera de chambre en chambre, à la découverte des textes de Bibatanko (RDC), Gaëlle Bien-Aimé (Haïti), Marie Darah (Belgique), Daniely Francisque (France-Martinique), Maud Galet-Lalande (France), Halima Hamdane (France-Maroc), Nathalie Hounvo Yekpe (Bénin), Hala Moughanie (Liban), Emmelyne Octavie (France-Guyane), Johanne Parent (Canada). Ces textes écrits au présent sont portés par des comédiennes (dont une comédienne-chanteuse) : Sumaya Al Attia, Claire Gaudriot, Isabelle Girard, Léa Miguel, Marie Quiquempois, Diane Villanueva.

Pardon pour le côté liste, mais il n’est pas vain. Vous le voyez : six interprètes campent neuf textes, ce qui impose des enjeux scéniques et dramaturgiques immédiats, puisque, pendant qu’un groupe verra une scène, un autre sera ailleurs. Parfois, des séquences presque chorales devront se mettre en place. Dans un geste qui rappelle les dispositifs de Rimini Protokoll, nous marchons, guidé.e.s, casque sans fil sur les oreilles. Quelque part entre une expérience de podcast et de pur théâtre, nous pouvons enfin nous autoriser à entrer dans l’écoute d’un intime très pluriel et extrêmement personnel : l’écriture.

« Qu’est-ce qui est écrit dans toi pour que je l’écrive ? »

Le dispositif fonctionne à la perfection, dans un geste sensible. Guidé.e.s par des voix, des sons, des chansons, nous avançons à la découverte de ces réponses complexes à une question qui l’est tout autant. Pourquoi écrire ? En adresse directe, en voix off, en gestes ou en phrases, les propositions sont toutes très différentes. Néanmoins, elles sont toutes – même quand tout est calme – traversées par une forme de violence. La maternité est toujours un frein à l’écriture, tout comme le désordre. Pour écrire, il faut être dans une forme de calme – ce qui ne veut pas dire être en silence. On peut écouter Mutate de Jeanne Added bien fort, tout comme Parole Parole de Dalida et Alain Delon. Dans tous les cas, il faut réussir à être en soi, enfermé.e en soi.

Nous croisons des générations, des pays, des représentations fluctuantes. Ici, il est interdit pour une femme mariée d’écrire ; là, il faut planquer les livres dans les casseroles. Cet acte si simple – écrire – est hautement politique. Elles écrivent pour dire ce qu’elles n’ont pas le droit de dire. Elles écrivent pour s’adresser à leurs objets de désir, parfois inaccessibles, ou bien à des fantômes, réels ou symboliques.

« J’écris depuis que je me tais »

Chaque « chambre » est l’occasion de comprendre la grammaire très cinématographique de la metteuse en scène. Elle sait manier la magie de l’image avec subtilité. Elle nous surprend avec des effets de mise en scène totalement inattendus (non, on ne va pas vous dire !). Nous changeons radicalement d’ambiance d’un espace à un autre. Elle nous fait passer par tous les recoins du théâtre, et le spectacle surgit là, sur une terrasse, comme le long de la scène. Jamais elle ne nous place en position de spectateurices, assis.e.s sur des gradins. Écrire est actif, écrire performe sur soi-même. C’est aussi cela que cette déambulation fait entrer en nous. Nous n’écrivons pas pendant le spectacle, mais nous communions de façon collective avec chacun de ces chemins de vie.

Parfois, c’est très joli. Parfois, c’est très dur. En tout cas, c’est toujours très beau et précis. La performance se déroule au cordeau, sans aucun couac. C’est un spectacle immersif à la mise en scène magistrale qui célèbre l’acte d’écrire comme une nécessité vitale, un combat, et parfois un refuge, toujours, une chambre à soi.