Au Théâtre de la Bastille, la plus humaine des metteuses en scène s’intéresse au plus humain des sujets : la mort. Elle offre à l’une de ses muses, Céline Milliat-Baumgartner, un cadre de réparation. Un vrai bijou sur le fond et la forme, et qui n’a rien de toc.
Pauline Bureau s’intéresse à l’humain, oui. Tous les humains. Les femmes dans Modèles, les familles dans Sirènes, la préadolescence dans Dormir cent ans et dans Neige, la lutte féministe dans Féminines ou la lutte pour la vérité dans Mon cœur. Les Bijoux de pacotille est peut-être la pièce qui transcende toutes les autres. Il s’agit d’un récit personnel. Pauline Bureau sait transformer des histoires vraies en histoires sensibles mieux que personne. À huit ans, Céline Milliat-Baumgartner se retrouve orpheline. Ses parents meurent dans un accident de voiture. Ils la laissent, elle et son petit frère, sans père ni mère. La pièce commence par le récit de cette nuit où tout bascule, puis la lumière se fait. On la voit, elle, en petite robe blanche et bleue et bottines marron, le look enfantin. Au-dessus d’elle, il y a un immense miroir vieilli, penché, au cadre doré. Le tout est un peu passé, un peu vert d’eau. Avec ce geste de scénographie en apparence simple, Pauline Bureau nous dit : quand la vie bascule, elle se fige dans l’instant du basculement.
La comédienne va donc nous raconter sa vie, celle d’avant, celle d’une petite fille normale, pas si normale. Elle raconte le père violent et prédateur. Elle raconte la mère, actrice, pimpante en léopard. Puis, elle va raconter celle d’après, sans parents. Sur scène, il y a une boîte en carton fermée dont nous chargeons le contenu avec nos propres souvenirs.
Depuis Neige, Pauline Bureau distille de la magie dans ses pièces. Ici, elle fait appel à Benoît Dattez, qui permet à des chaussures de marcher seules, portées par deux fantômes invisibles, et à du mapping, c’est-à-dire des projections qui troublent l’illusion. Nous verrons Céline redevenir cette petite fille qu’elle n’a pas été assez longtemps, figée à huit ans pour toujours. Le cadre la transforme en figurine de vieille boîte à musique, vous savez, celle où la ballerine sourit pour l’éternité en tournant sur elle-même, seulement activée par un autre qui remonte la molette, parce que sans autre, elle n’existe pas.
Le texte est celui de la comédienne, que Pauline Bureau a adapté et mis en scène. Il est merveilleux, ce texte, car il arrive à être léger alors que l’horreur est permanente. Elle ne s’est pas remise de ce manque, mais elle vit avec, elle a fait son deuil, elle dit même que parfois elle ne pense plus à eux tous les jours. C’est exactement cela, faire son deuil : ne plus penser à ses morts tous les jours.
Les Bijoux de pacotille n’est pas un nouveau spectacle : hier, il fêtait sa centième représentation à l’occasion de sa première au Théâtre de la Bastille. Il y a douze ans – c’est le temps qu’il faut pour agir – elle a eu envie de raconter ce trou immense. Et depuis, elle témoigne, et ce faisant, elle avance, elle nage même, de mieux en mieux. Elle rend ce drame plus universel et partage avec tous les orphelins de tous les âges cette sensation qu’on ne se remet jamais d’être sans parents, mais qu’on fait avec. Et ici, faire avec, c’est faire avec beaucoup de talent et beaucoup de beauté.