Léo Cohen-Paperman met Giscard à table

par Amélie Blaustein-Niddam
26.07.2025

Le jardin du Carmel, lieu le plus « in » du « off », se transforme pendant le festival en salle à manger vintage. Autour d’une soupe de cresson revisitée, c’est le monde d’avant et celui d’après qui dînent ensemble, entre révolution sociétale et choc pétrolier.

« Je crois que Anne-Aymone veut aussi vous exprimer ses vœux… »

Huit Rois (nos présidents) est une série théâtrale mise en scène par Léo Cohen-Paperman. Chaque épisode se consacre à un président de la Ve République. Après La Vie et la Mort de J. Chirac, roi des Français, présenté à Avignon en 2021, la compagnie proposait également cette année, en parallèle, Génération Mitterrand et donc Le dîner chez les Français de Valéry Giscard d’Estaing, qui nous place pile au centre. En 1974, pour de vrai, le président de la République décide d’aller dîner chez les Français pour mieux « regarder la France au fond des yeux ». C’est fou, ça, non ?

« On n’a pas de pétrole, on a des idées »

Nous voici donc chez Germaine (Morgane Nairaud) et Marcel Deschamps (Joseph Fourez), agriculteurs. Leur maison sent bon le sanglier empaillé et les fusils de chasse. Leur fille, Marie-France (Hélène Rencurel), a épousé Michel (Clovis Fouin), un ouvrier spécialisé dans une usine de Belfort, rencontré sur un piquet de grève un joli soir de mai. Ils ont, en 1974, un bébé d’un an (Grégoire Le Stradic). La tradition et la modernité se nichent dans les pantalons pat’ d’eph qui s’opposent à la mise en plis parfaite des cheveux. Quelle n’est pas la surprise du jeune couple de voir sonner à la porte de la ferme le président et sa femme (Robin Causse et Gaïa Singer). Le décor et les costumes sont volontairement caricaturaux. Ils et elles sont l’époque, cet espoir de liberté après le Général pour les un·e·s, et cette crainte d’un effondrement sociétal pour les autres. Très vite, on se tord de rire face au surjeu déballé. La grande idée de la pièce est sans aucun doute la présence d’un bébé en barboteuse et tétine. Le « petit » José grandit à vue d’œil ! Il est né sous Giscard, et c’est lui qui est le monsieur Loyal de ce dîner extraordinaire. C’est lui qui voit l’air du temps se transformer, entre grands espoirs et austérité, soit de la néo soupe de cresson à la galette des rois en couronnes.

« Laissez-moi parler »

En en faisant délicieusement trop, les comédien·nes prennent leurs rôles à bras-le-corps et les déploient avec une belle énergie, dans une référence directe à On connaît la chanson. Au bord de la comédie musicale, tous sont des bijoux. Le couple de petits vieux est dépassé par ce monde qui avance trop vite ; les jeunes soixante-huitards sont encore chargé·es de la révolution ; il et elle font entendre la bascule d’une époque. Elle, surtout, campe la naissance du féminisme de cette époque. Elle n’en peut plus qu’on lui coupe la parole (en 74 comme en 2025), elle rêve d’indépendance et de temps pour elle. Quant au duo présidentiel, il nous cloue au sol de talent et de drôlerie. Du chignon banane au pardessus Burberrys, rien ne manque dans cette épopée délirante au cœur des années 70’s.