« L’École de danse » de Goldoni par Clément Hervieu-Léger : une proposition un peu trop vaudevillesque

par Julia Wahl
19.11.2025

Pour son arrivée au poste d’administrateur général de la Comédie-Française, Clément Hervieu-Léger s’empare d’une pièce de Goldoni qui mêle danse et théâtre, rire et réflexion sur la société.

Un maître de danse, Monsieur Rigadon (Denis Podalydès), guidé par l’appât du gain et aux cours de maigre qualité. De jeunes danseuses pauvres, barbées par les pointes et les entrechats, mais qui voient dans ces cours un moyen de sortir du dénuement. Tel est l’argument de L’École de danse de Goldoni, créée en 1759.

Goldoni chez Degas

Le choix de Clément Hervieu-Léger est de transposer la pièce au XIXe siècle, à l’époque des danseuses de Degas et de la Nana de Zola. Les costumes de Julie Scolbetzine, avec les jupons courts des jeunes filles et les vestons des messieurs, suffisent en effet à recréer l’atmosphère du peintre. Zola, en revanche, est plus éloigné : alors que l’écrivain plaçait surtout son personnage dans un univers intime, loges ou petit appartement, celles de Goldoni évoluent entièrement dans la salle de répétition, avec ses barres et ses miroirs. Ainsi, ce que nous promet cette proposition, c’est de voir les danseuses au travail.

Cette promesse est-elle respectée ? Les apprenties danseuses s’essaient en effet à quelques entrechats. L’audition que le maître fait passer à une nouvelle élève, Rosina (Léa Lopez), est ainsi l’occasion de mêler la danse au drame. De son côté, le professeur fait lui-même régulièrement danser ses mains, chorégraphie dérisoire et ridicule, qui suscite le rire du public.

Cependant, chez Goldoni, l’intime se mêle à l’économique : les cours de danse sont l’occasion pour Giuseppina (Pauline Clément), la bonne élève, de séduire son maître. Les autres danseuses reçoivent en cachette leurs amants, au nez et à la barbe de ce professeur dépassé. Quant à la mauvaise élève Felicita (Claire de La Rüe du Can), elle tente par tous les moyens de s’extraire de ce monde qui l’ennuie, quand Monsieur Rigadon essaie pour sa part de s’en débarrasser en la vendant, contre une somme astronomique au vu de ses maigres talents, à un impresario, Don Fabrizio (Eric Génovèse).

Une proposition vaudevillesque

La danse est pour Goldoni un univers lui permettant d’étudier le poids de l’argent et des faux-semblant dans la société de son temps. Dès lors, ancrer la pièce dans le siècle qui vit l’essor du capitalisme semble pertinent. Mais, la direction des acteurs et, surtout, des actrices, tend à mettre au premier plan la duplicité de ces personnages féminins, qui mentent sans cesse et ne sont muées que par leurs instincts les plus primaires. Ainsi, la mise en scène tire la pièce vers le vaudeville et la misogynie de Goldoni – que l’on retrouve dans d’autres de ses pièces – prend le dessus sur la satire.

Néanmoins, le travail de l’espace permet à la pièce d’échapper au rire facile d’un Labiche ou d’un Feydeau. Les nombreuses portes de la scénographie d’Eric Ruf pourraient achever de faire de cette proposition une simple lecture vaudevillesque de l’œuvre de Goldoni. En réalité, elles font de cette salle de répétition un lieu multiple, où la clôture se mêle à l’ouverture : si les jeunes filles y semblent enfermées, les hommes vont et viennent, visibles de l’intérieur par des fenêtres laissant entrapercevoir leurs silhouettes. Les murs grisâtres, mais légèrement décorés, symbolisent à eux seuls cet entre-deux où la pauvreté côtoie les rêves de succès. Cette École de danse vaut donc surtout pour ce jeu sur l’en-dedans et l’en-dehors permis par le travail de Ruf.

L’École de danse, Carlo Goldoni. Mise en scène de Clément Hervieu-Léger. Jusqu’au 3 janvier 2026 à la Comédie-Française.

Visuel : ©Agathe Poupeney