Le festival BRUIT est le festival du Théâtre de l’Aquarium. Depuis le 30 novembre et jusqu’au 24 mars, on y voit du spectacle vivant qui laisse la musique devenir une actrice. Pour quelques jours encore, vous pouvez y voir le brillant BAÙBO, sous-titré de l’art de n’être pas mort – ou, comment survivre à la passion en posant une seule question : pourquoi montrer son sexe ?
Il y a ce truc que font tous les amants. Ils s’inventent une langue commune, des mots rien que pour eux, des expressions qui restent, qui sont vivantes quand l’amour est là et qui deviennent des épées tranchantes quand il s’arrête. La pièce commence là-dessus, en avant-scène, avec elle et lui. Elle qui raconte dans leur langue, lui qui traduit, toute la passion viscérale, toute l’attraction irrépressible, tout le désir qui prend des allures transcendantales tellement il dévore les corps et les âmes. Mais voilà, il la quitte, elle veut mourir, vraiment mourir. Il faut que le théâtre s’en mêle, et Jeanne Candel, plus plasticienne que jamais, convoque des images, va du récit à l’abstraction et convoque la figure de Déméter pour comprendre le geste que Baubo a posée devant elle, pour la faire rire, pour la ramener par ce rire à la vie. Montrer son sexe. Quoi de plus intime que l’origine du monde même ?
Entre l’épure de la première scène et l’image de fin, nous aurons voyagé dans un pays où les veuves noires jouent des cordes, de la batterie et du saxophone, de la voix aussi. Ils et elles, toutes et tous en robe de deuil qui vont venir la sauver, elle, de sa chute, la retenir avant qu’elle ne sombre. Il faut peut-être se clouer au mur, en tout cas en avoir envie, pour arriver à s’en sortir, à se décrocher. Jeanne Candel fait danser la soie comme dans le théâtre de sa voisine, Ariane Mnouchkine, elle avance dans cette histoire bête comme l’humanité, qui n’a aucun intérêt, sauf qu’elle nous concerne toutes et tous.
Dans le mythe, la douleur de la perte est celle d’un enfant. Perséphone a été enlevée par Hadès. Déméter, sa mère, la cherche sur toute la Terre, saisie par le chagrin. Baubo retrousse alors son péplos et, « découvrant ses parties, les montre à la déesse ». Mais le mot baubàô, d’origine grecque, signifie également « dormir » ou « s’endormir ». Jeanne Candel va du côté du symbole, de l’inconscient. La troupe où la voix, le corps et le son ne sont qu’une avancée vers un monde dont il est possible de s’évader par le haut. Pierre-Antoine Badaroux, Félicie Bazelaire, Perrine Bourel, Jeanne Candel, Richard Conte, Pauline Huruguen, Pauline Leroy, Hortense Monsaingeon et Thibault Perriard nous embarquent dans un ailleurs allégorique qui efface le drame, qui le sublime.
Jusqu’au 9 décembre, puis du 2 au 10 février au Théâtre de l’Aquarium.
Baùbo © Jean-Louis Fernandez