Dans le cadre du Festival d’Automne, le Teatro la Plaza – compagnie péruvienne fondée en 2003 – présente au Théâtre de la Ville Les Abbesses une adaptation personnelle et singulière d’une œuvre majeure : Hamlet. Un spectacle pluridisciplinaire qui interroge la notion d’identité et redéfinit des marges habituellement trop cloîtrées.
Le plateau est à nu, délimité par un scotch blanc et plongé dans le noir. A cours et à jardin sont déployés des éléments du décor – tables, chaises, arbres, penderie, micros – qui serviront plus tard dans la pièce. Un comédien entre sur scène. Au même moment, sur le mur du fond est projetée une vidéo : une femme enfante. Au compte goutte, alors que l’enfant naît, les huit comédien.ne.s se dispersent sur le plateau et fixent l’écran dos au public. Seule leur ombre se détache dans un profond silence : aucun son, aucune musique, aucun cri, aucune larme. Un tableau sensitif qui se stoppe brutalement sur un arrêt sur image : un médecin prend les mensurations de la tête de l’enfant. Est-il atteint du syndrome de Down ?
Cette scène d’ouverture introduit un élément central du spectacle. Les huit comédien.ne.s possèdent une même particularité : ils sont tou.te.s atteint.e.s du syndrome de Down (ou trisomie 21). De cette singularité ils tirent leur force, leur union et le point central de leur création. Le Hamlet qu’ils présentent n’est ainsi en rien celui que nous connaissons. Le texte de Shakespeare confère à cette libre adaptation un fil directeur, mais il est revisité pour laisser place à des paroles personnelles qui entrent en connexion avec lui. Iels se racontent à travers les personnages de Hamlet, Ophélie, Claudius, Polonius, la Mort, … qu’ils interprètent de manière intermittente, s’échangeant les rôles au fil de la pièce.
Le projet est né d’une rencontre entre la metteuse en scène Chela De Ferrari et le comédien Álvaro Toledo. Elle souhaitait monter Hamlet, lui souhaitait monter sur scène. Après un an de répétitions, la troupe a créé un Hamlet étroitement intriqué à leurs vies. “Quién eres ?”, cette question parcourt la pièce et iels tentent d’y répondre, nous faisant part de leurs douleurs, du rejet social qu’ils subissent, des rêves qu’iels ont dû abandonner. C’est avec beaucoup d’humour et d’autodérision qu’iels se livrent, ne cessant de prendre le public à partie. Un lien étroit se crée ainsi entre cette troupe et les spectateurs, qui s’intensifie toujours plus.
Hamlet est un spectacle riche qui se nourrit d’une culture contemporaine et passée. Il multiplie les références artistiques et les médiums, proposant ainsi un recoupement de plusieurs arts et œuvres. Au moment de la tirade la plus attendue, “être ou ne pas être ?”, Álvaro Toledo s’empare du texte et le détourne en rap. Cette scène se transforme alors en une sorte de battle où Álvaro, Manuel García et Ximena Rodríguez, entourés de Octavio Bernaza, Jaime Cruz, Lucas Demarchi, Diana Gutierrez et Cristina León Barandiarán, expriment puissamment leur colère en continuant cette phrase mythique. Iels sont soudés et ils affrontent les brimades au sein d’un espace qu’iels modèlent.
L’espace scénique ne s’arrête pas aux simples limites du plateau mais s’étend bien au-delà. En brisant le quatrième mur dès le début, les comédien.ne.s font des estrades leur lieu de jeu et y reviendront à plusieurs moments : pour jouer mais aussi pour questionner le public. Iels nous entraînent avec eux et on est galvanisé par cette liaison. Les différences sont assumées et les spectateurs deviennent ainsi des “neurotypiques” tandis qu’iels scandent “Yo no soy como los demás” (“je ne suis pas comme les autres”).
Le dispositif vidéo, conçu par Lucho Soldevilla, ponctue les scènes de diverses projections préenregistrées ou réalisées en direct. Les comédien.ne.s se dédoublent, on accède parfois à leur regard, à leur toucher et on surprend des scènes intimes sous un autre angle. Ces choix nous rapprochent de leurs histoires et accentuent l’émotion. On est au plus près d’elleux.
Le Hamlet proposé par le Teatro la Plaza est une adaptation inédite de l’œuvre de Shakespeare. Une plongée dans la vie de ses comédien.ne.s qui nous émeuvent et nous font rire. Un spectacle à découvrir jusqu’au 7 octobre au Théâtre de la Ville – Les Abbesses !