Dans les années 90, le film de Peter Weir, avec Robin Williams, avait représenté un phénomène pour une génération qui voyait dans l’irruption du professeur de littérature, John Keating, une ouverture vers une éducation moins corsetée. 35 ans après, alors que le contexte n’est plus le même, la pièce connaît un véritable engouement à Paris. Mais pourquoi donc ?
La démarche de transposer Le cercle des poètes disparus au théâtre, à Paris, pouvait interroger tant le film qui dépeignait l’arrivée disruptive d’un professeur de littérature anticonformiste dans une académie figée dans ses traditions dans les années 50 pouvait paraître daté et empli d’un pathos excessif. Mais la force du film résidait aussi dans les thèmes abordés : la construction de l’individu à l’adolescence (d’où étaient cependant exclues les filles), l’aspiration à la liberté individuelle, le refus des valeurs conservatrices… ce qui pouvait largement expliquer l’enthousiasme du jeune public d’alors.
Disons-le, l’adaptation théâtrale n’a pas fait perdre ses côtés agaçants à l’histoire auxquels, indubitablement, le public se laisse néanmoins prendre avec une certaine délectation. Quant aux thèmes précités ci-dessus, ils peuvent non seulement rappeler les émois cinématographiques des aînés, mais aussi trouver un écho certain chez les jeunes, d’aujourd’hui, d’autant que les abus dans les écoles sont loin d’avoir disparu (Betharram…) et que le suicide des jeunes lié à leur scolarité est toujours une plaie béante.
Mais, en s’interrogeant plus avant, on se rend compte que ce qui nous emporte c’est, d’une part, la puissance même du théâtre et, d’autre part, la force de l’interprétation.
Car si l’on peine à succomber aux poèmes de Walt Whitman et que le massacre de la poésie en général par les jeunes étudiants montre que l’intention vaut plus que le talent, c’est lorsque Keating et Neil (magnifique Octave Lemarchand) se saisissent de Shakespeare que l’on se rappelle que le barde anglais, même effleuré, garde toute sa puissance, en toutes circonstances, lorsqu’il trouve des interprètes à sa hauteur.
Surtout, pour porter ce texte de jeunes, il fallait des jeunes comédiens talentueux et disons-le formidables. C’est absolument le cas avec Basile Sommermeyer, Octave Lemarchand, Julien Despont, Lancelot Jardin, Paul Vasseur, Victor Mons, Antonin Dalvy, et Gabriel Ecoffey-Zeller. Et alors que Vincent Nemeth et Christophe Laubion incarnent le rigorisme presque caricatural des pères castrateurs, on ne peut trouver meilleure incarnation de Keating que Xavier Gallais qui déroule là son talent exubérant de la plus virtuose des manières.
Depuis 2024, la pièce a connu un énorme succès parisien. Elle a obtenu 2 Molières en 2024, et la pièce vient de partir en tournée avec l’équipe de Stéphane Freiss, en parallèle de la continuation de son parcours au théâtre Antoine avec Xavier Gallais. Il est donc encore temps d’une séance de rattrapage.
Visuel : © Louis Josse