Jusqu’au 6 mars 2024 le Théâtre Public de Montreuil propose à ses spectateur·rices de découvrir Le Souper, de Julia Perazzini. Un seule-en-scène qui est néanmoins un dialogue, puisque l’autrice, comédienne, metteuse en scène et performeuse convoque à ses côtés un frère disparu, qu’elle n’a pas connu, pour engager une discussion trop longtemps attendue.
Il s’agit de faire un saut dans l’espace-temps, en tout cas certainement dans le temps. De faire advenir, par la magie évocatrice du théâtre, une rencontre qui n’aurait pas dû pouvoir se faire. De profiter de ce qu’on s’en fout, ici, puisque la puissance de la fiction, c’est justement de n’avoir pas à s’embarrasser de vraisemblance sur le chemin de la vérité. De faire parler les morts, qui peut-être se manifesteront si on leur chante Your Song d’Elton John. Le temps d’un Souper, Julia Perazzini reçoit la visite de son frère, décédé avant qu’elle-même ne vienne au monde. Elle le fait avec simplicité, sur un plateau tout juste recouvert d’un immense tissu satiné vert sombre, en commandant des gambas en livraison. Elle le fait en notre compagnie puisqu’elle prend soin à certains moments de tenir compte de notre présence, comme pour nous indiquer qu’elle nous prend à témoin, qu’à tout le moins cette histoire nous concerne.
Peut-être que le charme principal de la proposition tient à cela : à la collision entre une forme de normalité désarmante et une séance de spiritisme en solo, qui commence comme une possession plutôt flippante (avec quelques minutes de ventriloquie plutôt bien maîtrisée) mais finit par s’installer pour devenir la chose la plus naturelle du monde. Qu’explore-t-on ici en leur compagnie ? Est-ce que cette pièce répare quelque chose chez l’artiste ? Possiblement. Est-ce qu’elle a le pouvoir de réparer quelque chose chez nous ? Peut-être, même si on assiste à tout cela en y restant un peu extérieur ; le rituel a lieu, et on reste là, à le regarder comme tel. Il est parfois traversé de jolies trouvailles poétiques (« s’endormir loin », joli euphémisme pour le décès), il est parsemé de moments assez drôles, mais nous ne sommes pas percé·es jusques au fond du cœur.
Pour autant, la comédienne a de beaux accents de sincérité, arrive à naviguer avec justesse entre son personnage et celui de son frère, a juste ce qu’il faut de force et de fragilité en même temps pour que la gorge se serre quand le frère demande : « Comment est-ce que je suis mort ? » On prend une petite dose, aussi, d’amour de la vie, de soif de profiter de cette chose qui peut s’arrêter n’importe quand, pour un accident, pour avoir croisé la route de la mauvaise personne. On ne peut nier que le spectacle est bien écrit, intelligemment construit. Mais il nous manque quelque chose pour partir complètement, peut-être une intensité mystique, peut-être une vérité dans le corps qui reste un peu empêché, peut-être des enjeux plus évidents dans l’invocation des mythes antiques, pour que cela prenne tout à fait. A moins que l’obstacle que Le Souper n’arrive pas à franchir soit l’intuition viscérale qu’une situation aussi extraordinaire ne peut pas rester, tout comptes faits, aussi sage ?