Toute la presse de danse était invitée au Pavillon noir pour y découvrir la création d’Oona Doherty, Specky Clark. Mais n’est-ce pas plutôt la critique théâtrale qui aurait dû l’être ?
La pièce est à base de neuf saynètes, sections ou stations numérotées de S1 à S9, qui décrivent le chemin de croix d’un protagoniste représentant le monde de l’enfance en même temps que le «mythe personnel » ou familial d’Oona Doherty. Cette dernière s’est inspirée, nous dit-on, de la vie d’un aïeul ayant pour nom Specky Clark et, parmi d’autres références culturelles, du roman de l’Irlandais Patrick McCabe, The Butcher Boy / Le Garçon boucher (1992) qui se déroule dans les années 60. D’où des éléments de décor patinés et des costumes de scène surannés comme ceux qu’on trouve dans des pièces misérabilistes et certains musicals de Broadway et du West End.
La troupe est également composée de neuf interprètes, les premiers rôles étant ceux du petit personnage binoclard asexué, qui aurait tout aussi bien pu se nommer Billy Potter : mi-Puck, mi-Peter Pan (interprété par une danseuse), des deux marâtres jumelles qui ont la taille de basketteuses (jouées par deux travestis qui ont un peu l’allure du duo Les Vamps) et du cochon personnalisé par un comédien dénudé au teint rose. L’audience rit volontiers du contraste entre les «jumelles féeriques» et Specky, l’opposition physique faisant songer à celle entre Gulliver et les lilliputiens. Le néoréalisme de l’opus ne vise ni à la distanciation brechtienne ni à la critique sociale humoristique d’un Reginald Smythe avec son personnage de BD Andy Capp. Les éléments autobiographiques de la narration et la dramaturgie concourent à l’adhésion et à l’empathie du public.
L’atmosphère est la plupart du temps sombre. Sauf dans les deux routines de danse (le solo de Specky, sorte de rock endiablé et la farandole conclusive de toute la troupe) éclairées en rouge façon night-club. N’était l’énergie déployée par la danseuse interprétant Specky, Faith Prendergast (qui avait déjà incarné le Petit prince de Saint-Exupéry), la chorégraphie est somme toute réduite au minimum syndical. Après un début tonitruant produisant son effet et une accroche fantastique, une scène d’effroi avec un cri à la Munch suramplifié et répété ad lib., le récit s’assoupit et nous avec. Paradoxalement, les passages au ralenti, nous stimulent et rythment l’écoulement. Les dialogues sont dits en anglais et surtitrés en français.
Est fait usage de ce qu’on appelle le playback – qu’Oona Doherty qualifie de lipsync -, moins systématiquement que chez Karl Biscuit et Marcia Barcellos (cf. le répertoire de la compagnie Système Castafiore), moins spectaculairement que chez Crystal Pite et Jonathan Young dans la pièce Assembly Hall récemment programmée par Claire Verlet au Théâtre de la ville. Pour ce qui est du contenu, l’histoire de Specky Clark rappelle la fable écolo défendant la cause animale du film Okja (2017) produit et joué par Tilda Swinton. Toujours est-il que le réalisme social à l’irlandaise a ému les spectateurs provençaux qui ont applaudi à tout rompre le mimodrame poétique et musical d’Oona Doherty.
Visuel : Specky Clark, photo OD Works