Au T2G, dans le cadre du Festival d’Automne, la metteuse en scène et plasticienne Alice Laloy nous entraîne dans un futur proche, où le gris a tout envahi… jusqu’à la révolution.
Petit retour en arrière. En 2021, nous découvrions son uchronie Death Breath Orchestra, une fin du monde irrespirable où les fenêtres étaient bouchées. La même année, en juillet, elle marquait le Festival d’Avignon avec la recréation de Pinocchio Live, inversant le mythe de façon clinique en transformant de véritables enfants en pantins. Trois ans plus tard, nous la retrouvons avec Le Ring, une œuvre plus précise et plus formelle, un jeu aux règles acides qui prend des allures d’opéra du monde d’après.
La première image est stupéfiante. Essayons de vous y plonger. Un mécanisme immense envahit tout l’espace, se soulève et atteint les cintres. Il dévoile un personnage gigantesque vêtu d’une jupe démesurée, longue de plusieurs mètres. Elle ressemble à une reine… Six autres personnages attendent par groupes de trois sur deux bancs. La créature respire, et iels commencent à bouger : elle les réveille. D’autres personnages apparaissent, mais seuls deux sont en « couleur réelle ». La sensation est celle d’un dessin au crayon gris qui prend vie. Ces deux figures en couleur sont les joueurs d’un tournoi étrange, organisé en quatre manches aux titres percutants, qui résonnent avec notre monde contemporain. La première manche, intitulée Black Friday, voit des tonnes de vêtements tomber du ciel. Chaque joueur commande son équipe de robots en leur lançant des ordres tels que « avance », « tire », « enfile », auxquels les personnages doivent obéir.
Les règles de ce jeu sont un prétexte à une écriture des corps d’une rare intelligence. Les circassien·nes, acrobates et danseur·euses se contorsionnent, convulsent, se figent au gré des sons et des chants des joueurs et de la maîtresse du plateau. Coralie Arnoult, Lucille Chalopin, Alberto Diaz, Camille Guillaume, Dominique Joannon, Antoine Maitrias, Nilda Martinez, Antoine Mermet, Maxime Steffan et Marion Tassou occupent cet espace cliniquement futuriste avec un talent monstrueux.
Alice Laloy s’impose non seulement comme une scénographe de génie, mais aussi comme une metteuse en scène d’une précision redoutable. Le Ring est à la fois jeu vidéo, jeu de rôle et jeu de plateau. C’est un condensé de nos références culturelles, de Squid Game à Street Fighter. Oui, les commandes incluent le mode « fight », mais aussi le mode « love », qui amène les corps à se rapprocher dans des mouvements collés serrés. C’est à travers l’amour que les avatars commencent à retrouver un peu d’humanité, l’attirance des corps échappant aux injonctions des joueurs hurlants.
Les surgissements du décor sont autant d’idées visuelles percutantes et souvent drôles (au sens propre du terme). La forme sublime soutient un fond mordant : une critique implacable de notre société de consommation, qu’il s’agisse de vêtements, de nourriture ou de sexe.
Alice Laloy crée des images d’une puissance inouïe. À la manière de Castellucci, Sagazan ou Vienne, elle pose des actes et elle sait ouvrir et conclure ses spectacles par des gestes mémorables. Eh oui, on peut le dire : on n’avait encore jamais vu ça.
Du 05 au 16 décembre 2024 au T2G, à partir de 12 ans.
Crédit photo : © Simon Gosselin