« Le Rendez-vous » manqué de Jonathan Capdevielle et Camille Cottin aux Bouffes du Nord

« Dis donc, elle ne serait pas un peu PD ? »

L’œuvre théâtrale de Capdevielle gravite autour d’un grand thème : celui du lien entre l’artiste et son œuvre. Cette obsession avait conduit Capdevielle à créer Saga et Adishatz, deux gestes personnels, uniques, blocs, artistiques, participant d’un grand projet d’« autobiographie théâtrale ». D’une façon ou d’une autre, il dresse des portraits où le son est essentiel. En ce sens, Rendez-vous est vraiment une pièce de Jonathan. Mais ce qui fait le sel de son talent, c’est la tension entre le kitsch, le second degré et la noirceur qui manquent dans cette pièce où le jeu de l’actrice reste trop collé au sujet.

« Encore aujourd’hui, un juif est un phénomène pour un allemand ? »

Mais justement, le sujet, quel est-il ? Il est dément le sujet : il s’agit de la culpabilité des Allemands nés bien après la guerre, vis à vie de la Shoah.  Rien que ça.  Comme souvent, Jonathan Capdvielle utilise la voix off, ici en amorce du spectacle. Et ça, c’est brillant. Le public est venu voir une comédienne géniale, adoré en Connasse comme en agente retord dans Dix pour cent, Camille Cottin.  Et ne pas la montrer, pendant un bon moment, est très intelligent.  La voix, la voix seule nous permet d’entrer dans le cabinet du Dr Seligman. L’image quand elle arrive, là aussi, brillante, nous fait comprendre, par un corps réduit à ses jambes rouges écartées, que cette voix appartient à une femme qui est semi-allongé sur la chaise du gynéco, pieds sur les étriers.  Elle fixe le crâne dégarni du Dr Seligman et démarre un monologue improbable, où tout s’entremêle : ses fantasmes les plus fous, ses obsessions, des bribes de sa vie sexuelle, et les méandres de son histoire familiale, sa passion amoureuse pour K. Née en Allemagne, elle a fui des parents qu’elle ne pouvait plus supporter pour se reconstruire à Londres. Là-bas, elle vit en équilibre précaire, parlant une langue qui n’est pas la sienne, habitant un corps qui la serre un peu plus chaque jour. La culpabilité d’être l’héritière d’une famille allemande dans l’après-Shoah la rattrape. Elle est exilée partout : dans son corps, dans un pays étranger, elle comprend qu’elle ne pourra pas échapper à cet héritage. Alors, elle décide de parler. De transformer le silence en récit, la douleur en rires, sa transition en acte libérateur. Cela pourrait être un presque stand-up qui viserait à reprendre le pouvoir sur une histoire qui l’écrase.

« Jamais, je ne serai ce que j’aurais dû être »

Dans la direction d’actrice, on retrouve bien sûr le travail intense sur la voix qui cherche à se dissocier des corps. Le chant, la ventriloquie, les modulations de tonalité, les mots qu’elle prononce cachée du public, oui, tout cela existe et fonctionne par moments.  Les images et les mots sont délirants, les couleurs – le violet, le vert et le rouge – hurlent des symboles : le sang, la religion, les forêts de Silésie qui entourent Auschwitz.  Il y a une montagne de sujets existentiels qui surgissent dans ce Rendez-vous, symbolisé par la scénographie qui compte un superbe rideau qui vient vomir comme un charnier qui respire encore. Cela forme un monticule que la comédienne escalade, domine même. Camille Cottin maîtrise son texte évidemment, elle est une immense actrice, mais le curseur n’est pas assez poussé, notamment sur le travail de mise à distance avec l’ironie, le sordide et l’inconscient.