Jusqu’au 9 février à Nanterre puis du 24 au 27 avril à La Villette, l’actuel directeur du TNB revient à une double source, celle du théâtre français et celle de son amour de la scène, en remontant 23 ans après son tout premier spectacle : Le malade imaginaire ou le silence de Molière. Un palimpseste brillant sur la « maladie du théâtre ».
« (…) Les anciens, Monsieur, sont les anciens et nous sommes les gens de maintenant (…) »
Ah les anciens et les modernes ! Ah le monde d’avant et celui de maintenant ! Le théâtre de Molière est plein de ces jeunes gens qui veulent et qui réussissent toujours à la fin à vivre leur vie comme ils l’entendent. L’avantage avec Le malade imaginaire comme avec toutes les autres œuvres du maître, c’est qu’on sait absolument ce qu’il va se passer. L’enjeu pour Arthur Nauzyciel n’est pas de nous raconter cette histoire pour son intrigue, mais plutôt pour ce qu’elle dit des fondations du théâtre. C’est la dernière pièce de Molière ; il est mort lors de la 4ᵉ représentation ; et quelques siècles plus tard en 1999, Nauzyciel choisit ce texte pour sa toute première mise en scène au théâtre de Lorient.
C’est le désir de l’artiste qui est montré. En effet, la pièce est un mash-up de deux textes : Le Malade imaginaire donc et Le silence de Molière de Giovanni Macchia. Il s’agit de la confession fictionnée d’Esprit-Madeleine Poquelin (Catherine Vuillez), fille de Molière, qui, en n’ayant pas d’enfant, a voulu mettre fin à ce qu’elle nomme la « maladie du théâtre » dont souffre sa famille. En coupant la filiation, elle cherche à accéder à son « papa », pour qu’il cesse d’être Molière et redevienne Poquelin.
Mais parlons un peu de ce qui se passe sur scène. Le décor, identique d’après les témoins à celui de 1999, est un cube en bois abrité par des pans de tissus beiges. On devine des corps assis de dos et on entend, reconnaissable entre toutes, la voix de Laurent Poitrenaux qui assène en hurlant, les premiers mots cultes du Malade : « Trois et deux font cinq, et cinq font dix, et dix font vingt. Trois et deux font cinq. »
Ces mots mythiques arrivent, par la scénographie, comme un souvenir flou. Le fil conducteur de la pièce, Molière face à lui-même, se met en place dans cet entre-deux permanent entre l’envie de revoir la pièce et le désir d’en saisir son actualité.
Poitrenaux est Molière et Argan. Le personnage et l’artiste en face à face, concrètement en face à face puisque « Molière » regarde la pièce du milieu du public.
Devant lui, en bas sur scène, dans cet aujourd’hui éternel, Angélique (Hinda Abdelaoui) aime Cleante (Arthur Remi) mais l’hypocondriaque Argan (Ayem Bouchou et Laurent Poitrenaux) veut pour sa fille, un parti qui lui sied mieux, Thomas Diafoirus (Maxime Crochard), médecin, fils de Monsieur Diafoirus (Arthur Nauzyciel). On suit donc la pièce, en accéléré, avec un ton volontiers parodique et désinvolte. Les costumes sublimes reprennent les silhouettes du temps de Molière avec des motifs 90’s : carreaux, tartan, lignes graphiques. Les perruques sont en tissu, drôles et spectaculaires.
Les sottises ne divertissent pas, dit un personnage, et pourtant, qu’est-ce qu’on s’amuse ici de voir le théâtre se créer avec sérieux. Les comédien.e.s dans une abolition permanente du quatrième mur, déconstruisent l’adresse classique. Poitrenaux est magistral de sa voix et de son corps si incarné. Il est extrêmement émouvant de voir les générations se mêler dans une égalité. Les plus jeunes comédien.e.s formé.e.s au TNB donnent la réplique aux icônes que sont Catherine Vuillez, Laurent Poitrenaux et Arthur Nauzyciel. Dans la jeune troupe, Raphaëlle Rousseau, que l’on a déjà souvent vu sur scène dans des textes contemporains, montre qu’elle assure en alexandrin aussi. La joute potache entre elle et Molière est jubilatoire, Salomé Scotto est parfaite en Beline, femme empressée de retrouver son célibat.
Théâtre de la vie, fausses vies jouées, vraies craintes face à la maladie. Ce Malade est tout cela, c’est une archive vivante, une transmission réussie, car pour que le spectacle reste vivant, il faut le jouer, et le rejouer, et à la fin, recommencer par le début, et compter encore, inlassablement depuis 1673 : « Trois et deux font cinq, et cinq font dix, et dix font vingt. Trois et deux font cinq. ».
À voir jusqu’au 9 au Théâtre Nanterre-Amandiers puis à La Grande Halle de la Villette du 24 au 27 avril.
Visuel : © Philippe Chancel