C’est l’évènement de ce début de Festival d’Avignon. Tiago Rodrigues remet en service l’époustouflante Carrière de Boulbon. Et Philippe Quesne y propose jusqu’au 18 juillet un vision puissante et décalée à partir du fameux tableau de Jérôme Bosch, Le jardin des délices.
Utilisée par le Festival d’Avignon pour la première fois en 1985, par Peter Brook qui y a mis en scène son Mahabharata, la Carrière de Boulbon est un site naturel époustouflant, au milieu des pins et sculpté dans la pierre. Elle se mérite et se gagne par navette (15 km soit 30 minutes de route) puis on grimpe un peu avec de bonnes chaussures. Et ça vaut la peine : dans l’odeur du maquis et le bruit des grillons, c’est beau à en couper le souffle.
Philippe Quesne, qui fête les 20 ans de son Vivarium Studio, exploite pleinement les potentialités monumentales du lieu avec son Jardin des délices. Un cadre qui va si bien à ses préoccupations de toujours sur l’empreinte réciproque avec notre environnement. Véritable commentaire du mystérieux triptyque de Bosch, la pièce commence comme un western spaghetti ou un film des frères Coen et se termine en Star Trek.
Le Festival d’Avignon parle – juste titre – de « rétrofuturisme » pour décrire l’arrivée de membres d’un groupe humain en costumes seventies qui gagnent un lieu perdu où ils roulent deux grands œufs pleins de potentiels. Ils s’installent, se mettent à réciter des textes, à chanter, à jouer du piano, du violoncelle, de la viole de gambe et de la flûte. Ils jouent avec le feu (dans la carrière où la vigilance incendie est au maximum) comme ils jouent avec les mots.
Dans l’état de nature qu’interroge Philippe Quesne, tout est soumis au vote à l’unanimité. Le contrat social semble préexister dans cette aventure humaine qui déambule plus qu’elle ne progresse. Avec une scénographie merveilleuse pratiquant un absurde contemplatif, l’ensemble des acteurs nous pousse vers les cimes de projections sacrées, tandis que Philippe Quesne cite et recycle des images qui nous ont marqués. Certaines appartiennent d’ailleurs déjà à son propre répertoire : un funambule s’avance, le bus est démonté pour créer une scène dans la scène, l’humanité retourne littéralement dans sa coquille, les vanités se projettent sur la pierre… C’est parfaitement adapté à l’environnement, c’est une expérience et aussi une belle introduction à l’art de Philippe Quesne, ici à son acmé.
visuel (c) Vivarium Studio / Domaine public Wikipedia