Adaptation d’un film de 1973 de Frederick Wiseman sur un bureau d’aide sociale à New-York, Welfare de Julie Deliquet amenait la question sociale au cœur de la cour du palais des Papes en ce premier soir de Festival d’Avignon.
C’est sur une idée de Frederick Wiseman (dont le film est sorti en copie restaurée 4K aujourd’hui) que Julie Deliquet a mobilisé plusieurs plumes pour réaliser une adaptation scénique de Welfare, le neuvième film du réalisateur. Alors que les spectateurs et les officiels – dont la ministre de la Culture – s’installent, les ouvriers sont en place sur la scène transformée en grand terrain d’EPS des années 1970. Ils démontent une série de tentes ou d’urnes pour laisser l’espace vide et libre. C’est au micro qu’une des actrices demande à l’audience une minute de silence en mémoire de Nahel. La pièce commence comme si nous faisions partie des nombreux demandeurs d’aide sociale. Et chaque cas est traité par l’ensemble de l’équipe, un par un, avec des longueurs. Un policier (excellent Salif Cisse) assure que tout se passe en paix. Sauf que cela créé de grandes tensions de bombarder des gens affamés, souvent drogués ou fragiles psychologiquement, et sans toit de demandes de documents et les renvoyer à la sécurité sociale qui les renvoie elle-même à l’aide sociale.
Il y a des « cas » : une mère de quatre enfants enceinte dont le mari est parti et qui aimerait toucher en son nom les chèques d’aide, un couple d’anciens toxicos tombés dans la rue et qui ont besoin de s’inscrire pour tenir, deux dames plus âgées qui viennent de se faire opérer et qui pour l’une a aussi besoin de mettre l’aide sociale à son nom, pour l’autre, de la recevoir à la bonne adresse avant de se faire expulser. Il y a le grand gars, ancien taulard, qui a un job, mais a besoin d’un toit et l’intellectuel perdu qui s’est résigné à attendre et errer. Et il y a ces assistants et assistantes sociaux qui doivent respecter une procédure pour que cela fonctionne et en même temps qui, en respectant la procédure, ne peuvent pas aider. « C’est Kafka », selon l’expression consacrée : le langage administratif quotidien que nous connaissons tous a ici des conséquences terribles sur les personnes en demande d’aide.
Étendant sur deux heures trente de spectacles ces déboires administratifs criminels que le public sait perdus d’avance, le spectacle montre qu’en 1973 comme de nos jours, même avec les meilleures intentions du monde, l’aide sociale peine à accomplir sa mission. L’État-providence est d’autant plus faible et décevant qu’il est un dernier recours… Les mots, repris du film, sont justes, la lumière et les déplacements de personnages debout (et non assis, comme c’est le cas dans une administration) participent d’un mouvement qui passionne Julie Deliquet, formée au cinéma et qui a adapté Bergman, Fassbinder et Desplechin sur scène. C’est beau, c’est très travaillé et c’est bien joué. Mais à force de jouer sur l’effet de réel, ce théâtre documentaire à partir d’un film semble nous proposer beaucoup de faux raccords (un enfant disparaît, quid du froid de décembre ?…). Et surtout une fois la cage d’acier de la bureaucratie établie, l’enjeu narratif est faible. La partie du public qui a du mal à faire catharsis avec cette frustration généralisée reste hors-jeu. C’est peut-être ces spectateurs hermétiques au geste de Welfare qui sont les plus marginaux quand les applaudissements résonnent.
Spectacle diffusé sur France 5 le 7 juillet puis disponible sur Culturebox le 23 juillet.
visuels(c) Christophe Reynauld de Lage