Les lieux et les êtres vivants extérieurs à nous ne sont pas des choses séparées de notre humanité. C’est ce que martèle le texte
Le chant des hylodes écrit par Christian Baril. Depuis dix ans, le festival du Jamais lu, venu de Montréal, s’exporte à Paris,
au Théâtre Ouvert, pour faire entendre de nouvelles œuvres littéraires prometteuses. Avec cet écrivain québécois, l’événement s’ouvre sur une réflexion sur la place de l’humain dans son environnement, et sa faculté à progressivement effacer toute possibilité de vie.
En finir avec la dichotomie humain et nature
Pour incarner cette prise de conscience d’autodestruction, Christian Baril retrace le parcours initiatique d’un jeune étudiant en biologie, Mathis, d’abord naïf et utopiste, bientôt révolté et désabusé. Il reçoit une bourse exceptionnelle pour étudier dans les Antilles l’impact nocif d’un contaminant sur l’environnement et ses habitants, humains ou non. Il part le cœur lourd : sa mère vient de lui annoncer qu’elle a un cancer.
L’auteur lui-même est passé par le théâtre avant de se diriger vers la biologie. On sent aussi dans le personnage de Mathis ce conflit entre un côté flamboyant et rêveur, et la rationalité du scientifique.
D’un monologue survolté sur le sens de l’univers aux échanges en visio ou en direct avec une amie, le texte tisse un lien de plus en plus fort entre deux notions trop souvent pensées comme indissociables. Sa passion pour la biodiversité et la vitalité des écosystèmes rejoint bientôt la terreur de la mort, ironiquement portée par l’homme dans sa quête de progrès. Homme et vivant dans son intégralité ne font alors plus qu’un.
Le verbe québécois et la vitalité des interprètes
Ce sont les apprenti·es de l’École supérieure de comédien·nes ESCA qui s’emparent de cet écrit. Avec vitalité et humour, ils font danser les expressions québécoises et le cru du vocabulaire de la jeunesse. La simplicité et le vulgaire des mots « Crisse », « fuck », « anyways » rend réaliste la vie de ces jeunes gens aussi désorientés qu’attachants. Mathis veut faire la différence, changer les choses telles qu’elles sont. Son amie Maryse, maman fatiguée, veut jouir de sa liberté. Son fils de 18 ans est perdu entre les injonctions morbides des réseaux sociaux et le mur dans lequel fonce à toute vitesse l’humanité suicidaire. Le verbe cingle, chante, vibre au rythme de cette énergie du désespoir.
Dans toute cette réalité du quotidien, racontée sans artifices, une forme de poésie naturaliste s’élève. Les hylodes, ces petites grenouilles menacées par l’activité de l’homme, symbolisent la diversité que l’on tente d’anéantir, l’importance de la vie la plus minuscule dans un écosystème commun. Son chant retentit en douceur dans la salle. L’inquiétude grandit : il pourrait s’éteindre à jamais. Avec lucidité, Christian Baril et les interprètes de cette lecture font de la scène un espace où le vivant apparaît dans toute sa complexité et sa beauté, aussi fragile, vital et central qu’une grenouille.