Cet hiver, la Comédie Française programme Casse-Noisette dans une adaptation chaleureuse et coloré de Johanna Boyé ! Spectacle pour jeunes publics, tous les spectateurs sortent en fait de la salle contents ! À voir !
Casse-Noisette raconte l’histoire de Clara, accidentée durant l’enfance qui a grandi avec une attelle et une cicatrice au visage. Par peur du monde à cause de cette difformité, elle refuse de sortir. Son seul lien avec l’extérieur ? Son Parrain, l’Horloger Drosselmeyer qui lui construit ses attelles depuis toute petite. Alors pour l’aider à grandir, il lui offre un casse-noisette grandeur nature chez qui elle va trouver un ami, et partir à l’aventure du Royaume de la Nuit. En effet, la méchante sorcière, Dame Mauserink, terrifie ce monde parallèle ! Un monde ? Non, des mondes ! Comme dans Narnia, on y accède en poussant la bibliothèque et on découvre le Royaume de la Nuit, des Souris, des Jouets et des Pirlipates !
Casse-Noisette ou le Royaume de la Nuit est un conte classique, avec l’idée d’une ascension de l’héro dans un monde onirique. Clara, petite fille gentille complètement recroquevillée sur elle-même ne sourit qu’avec son Parrain. C’est donc lui qui l’amène à parcourir ce voyage initiative pour qu’elle prenne place dans la société et rayonne de la même manière qu’elle le fait à ses côtés. Ce personnage bienveillant l’amène à comprendre qu’en étant elle-même, elle peut évoluer dehors en toute sécurité. Casse-Noisette ou le Royaume de la Nuit a de contemporain cette morale, terre à terre, humble et rationnelle, loin des lourdes moralités des contes traditionnels.
L’histoire parle des fissures, de nos blessures. Pour montrer au spectateur qu’il n’est pas seul, la pièce utilise un Casse-Noisette comme double universel, neutralité rendue possible grâce à son statut de jouet. Bien que genré au masculin, il n’a en réalité pas vraiment de genre, pas d’âge, pas de visage, juste un costume qui le désigne comme Casse-Noisette. Il peut donc fleurir dans tous les imaginaires. Et pour montrer au spectateur que les stigmates intimes méritent d’être valorisées, la pièce utilise le très poétique kintsugi. Art japonais qui répare les céramiques cassées avec de l’or et les sublime, le kintsuki apparaît dans la pièce comme une pâte adulte bienveillante qui veut accompagner Clara dans son épanouissement.
La pièce originale de E.T.A Hoffmann est une sorte de passage initiative entre l’enfance et l’adolescence, axée sur des valeurs de l’entraide et d’amitié. La force de cette adaptation est de respecter ces trames narratives, tout en affinant la dimension intime. Dans le dossier de presse, Johanna Boyé raconte en effet qu’Hoffmann aurait été inspiré par le retour des soldats prussiens « « cassé » du champ de bataille. C’est cette idée d’un personnage « cassé » qui nous a inspirées en premier lieu ». Cette dimension historique particulièrement intéressante et moins connue semble être l’essence de cette dramaturgie. Johanna Boyé ne pouvait pas mieux rendre hommage au romantisme allemand d’Hoffmann, mouvement axé sur l’expression des sentiments et la légitimité de leur affirmation. Elle place dans ce conte une lecture moderne du soi et de ses blessures, ainsi que sur notre confiance à le vivre en société.
Pour raconter cette histoire, Johanna Boyé et Elizabeth Ventura ont conservé la structure du conte classique tout en mêlant différentes références littéraires. On retrouve Narnia d’abord, avec l’idée d’un monde caché derrière l’armoire quand Clara rapetisse, dans le conte original, les quatre mondes qui se font la guerre. On pense aussi et surtout à Alice aux pays des Merveilles par les costumes d’une part, puis par le surréalisme d’autre part. Les culottes royales sont trop bouffantes, les jupes ressemblent à des armatures de robes du XVIIIᵉ siècle, les broderies sont détournées par des fourchettes, la Reine a une coupe en cœur… Ensuite, on trouve dans la narration des déformations de mots, de voyelles, de syllabes. Le Roi adulte parle comme un enfant de cinq ans et ne mange que de la soupe au lard, la Reine humaine a une cousine germaine Souris, l’avocate n’a rien fait à part « tout ce qu’elle a pu », et la méchante sorcière, parce qu’elle est très méchante, part avec tout le saucisson !
Pour nous faire rire, la mise en scène est donc construite en grande partie sur le comique de situation, avec ses méprises, ses passages incongrus et le détournement de certains personnages comme la douce Fée Dragée. Sorte de bonne fée chez Hoffmann, elle en exprime son ras-le-bol chez Johanna Boyé, car être fée, c’est un métier, alors comme dans toutes les professions : il y a des hauts et des bas ! On retrouve également les tons burlesques de la chute, l’extravagance des attitudes, le tout chanté et accompagné par les musiques colorées Mehdi Bourayou !
En somme, Casse-Noisette ou le Royaume de la Nuit est pensé à hauteur d’enfant, construit comme un univers chaleureux et coloré qui rappelle certains dessins d’animation comme les Disney des années 1990. Pourtant, il est génial à voir pour tous les publics. Tendre, bienveillante et drôle, la pièce est d’autant plus parfaite pour une programmation de fin d’année. Et un grand bravo aux acteurs dont les jeux sont (oniriquement) justes !
Image : dossier de presse Comédie Française
26 novembre 2025 au 4 janvier 2026, Théâtre du Vieux-Colombier – Comédie Française
Librement inspiré du conte d’E. T. A. Hoffmann
Adaptation Johanna Boyé et Élisabeth Ventura
Mise en scène Johanna Boyé
avec la troupe de la Comédie-Française
Véronique Vella, Coraly Zahonero, Yoann Gasiorowski, Nicolas Chupin,
Baptiste Chabauty, Mélissa Polonie, Charlotte Van Bervesselès