C’est un automne faste pour Simon Gauchet, avec pas moins de trois spectacles à Paris, Le Beau Monde, L’Expérience de l’arbre et La Grande Marée. Des pièces en manière d’explorations mystiques, qui partent à la découverte des grandes énigmes de la nature et de leur propension à mettre en branle nos imaginaires.
C’est un rêveur autant qu’un explorateur : Simon Gauchet aime à mettre en scène la part d’enfant en nous qui continue à craindre les fantômes et à s’extasier devant la beauté des éléments naturels. Cette exploration de nos songes est à l’origine de l’École parallèle imaginaire, un « lieu nomade qui conçoit des expériences dans des théâtres, des musées, dans l’espace public et pour des territoires ». Né à Saint-Malo, le metteur en scène se rêve en Surcouf de nos chimères intimes et collectives.
C’est tout naturellement que le Malouin se tourne vers l’observation de la mer et des invitations au voyage dont elle regorge avec La Grande Marée, un spectacle qui part à la recherche de l’Atlantide. Plus qu’à l’île elle-même, c’est à son aptitude à nous faire quitter le réel pour l’imaginaire que Simon Gauchet s’intéresse. Puisant ses sources dans un article de Brigitte Salino, il nous conte ainsi l’expédition manquée – et même jamais véritablement commencée – d’universitaires fascinés par ce mythe qui serait fondateur de notre passion pour la destruction et notre propre finitude. C’est donc à une fausse reconstitution que nous convie cette Grande Marée, celle de ce voyage qui n’eut jamais lieu, mais dont le projet témoigne du besoin des hommes et des femmes de croire au plus profond d’elles et eux-mêmes en ces légendes millénaires.
Du côté de L’Expérience de l’arbre, c’est une exploration de notre rapport au végétal que le metteur en scène breton nous propose. Projet né d’une résidence à la Villa Kujoyama, ce spectacle repose sur un échange des techniques et traditions théâtrales entre Tatsushige Udaka, acteur nô japonais, et Simon Gauchet, qui fait entendre Artaud à son homologue nippon et l’initie au théâtre baroque. Au centre de ce travail, l’arbre de fond de scène du théâtre nô, pour lequel les acteurs jouent et qui, si l’on prête suffisamment l’oreille, parle au creux de celle-ci. Nous est ainsi présenté un exercice d’écoute et de retranscription de ses paroles et de celles des fantômes qui hantent encore la culture japonaise contemporaine.
Toutefois, on l’aura compris, ces fantômes et ces arbres sont intimement liés au monde du spectacle. Ils sont ceux pour qui on joue, mais aussi ceux qui témoignent de la longévité, sinon de l’éternité, du théâtre nô. L’Expérience de l’arbre et La Grande Marée apparaissent alors comme des hymnes à tous les théâtres et à leur capacité à rendre vrais les fantasmes les plus improbables.
Si L’Expérience de l’arbre s’enracine dans le théâtre traditionnel japonais et le théâtre baroque français, la source de La Grande Marée se situe du côté de l’opéra, notamment la Mireille de Gounod. Outre le chant du quatrième acte que nous fait entendre – avec un rien de dérision – Cléa Laizé, le dispositif scénique de ce spectacle repose en effet sur l’usage détourné de toiles d’opéra qui se transforment, au gré des vagues et des ressacs, en voiles de navires ou en espaces imaginaires.
Un arbre d’un côté, des toiles d’opéra de l’autre : si ces deux éléments de décor, rehaussés, dans les deux spectacles, par la belle et subtile création lumière de Claire Gondrexon, parviennent à nous faire rêver, on déplore toutefois dans La Grande Marée des acteurs et actrice (Gaël Baron, Yann Boudaud, Rémi Fortin
Cléa Laizé) un peu en force et un humour qui manque parfois de finesse. Il n’en reste pas moins un bel hommage au pouvoir du théâtre et de l’imagination.
La Grande Marée
Du 9 au 24 novembre au Théâtre de la Bastille
L’Expérience de l’arbre s’est donné le 16 novembre au Théâtre Paris Villette à l’occasion des dix ans du lieu
La Grande Marée ®Louise Quignon