Il faut l’avouer, de temps en temps, une grosse dose de gros théâtre, avec tout plein d’accents circonflexes sur plein de « a » qui se suivent, cela fait du bien. C’est au Théâtre de Vanves, haut lieu des spectacles performatifs, que, étonnamment, nous tombons sur la dernière création de la muse d’Olivier Py, Bertrand de Roffignac. Et alors ? Le too much n’est jamais assez !
Tout commence par une image : Bertrand de Roffignac, tout plein de poussière, se tient de dos face à une grande toile. Il nous délivre l’essence de cette histoire qui se déroule quelque part dans le monde, entre l’incendie de la bibliothèque d’Alexandrie et un hôpital psychiatrique très particulier. Le décor déborde déjà. Trop de lumière, trop de fumée, trop de danse super grandiloquente. Avouons-le, à ce moment-là, on a un peu peur. Puis les choses se mettent en place, et quelque part entre la facétie et le cartoon, et surtout entre tout le théâtre de Py et celui de Simon Falguière, quelque part entre l’esprit de tréteaux et les codes contemporains, l’histoire nous happe. Elle est délivrée par une troupe enragée, et le texte ne cesse de nous saisir par ses nombreuses fulgurances.
L’histoire donc : en hauteur, dans ce qui symbolise sa chambre, entouré, dans les cases qui l’encadrent, par des musiciens, Glénand Axolotl rédige « le livre des livres », un conte aux pouvoirs magiques : l’alphabet des connaissances. Cela suscite un désir fou pour lui, l’amour même. Sa folie se transforme, il est désormais un génie littéraire. Mais voilà, ailleurs, un autre homme, tout aussi fou, réclame la paternité du chef-d’œuvre. Plagiat ou hallucination collective ?
Adriana Breviglieri, Léna Dangréaux, Florian Astraudo, Gall Gaspard, François Michonneau, Xavier Guelfi, Axel Chemla Romeu-Santos, Baptiste Thiébault, Maximilien Seweryn, Jean-François Gilède et donc Bertrand de Roffignac en fil conducteur, se jettent à corps perdu dans le jeu. Ça gesticule et parle fort, nous sommes dans un théâtre où la voix sort du ventre et tous les outils sont bons pour nous faire marrer : tentation scato, surgissement de comédien dans le public, explosions de «trucs» qui nous tombent dessus. Parfois, cet Alphabet prend les allures d’une fin de fête de mariage où tout le monde est très très saoul.
Après Les Sept Colis sans Destination de Nestor Crévelong (2023), cette nouvelle création se place dans la ligne de la précédente. Bertrand de Roffignac, directeur artistique, auteur et metteur en scène de la compagnie du Théâtre de la Suspension, poursuit ici son déploiement issu de son univers excessif. Le récit, à la fois fantastique et onirique, reste éminemment politique : que faire des fous ? Comment considérer leurs écritures ? Pas sûr d’avoir la réponse, mais sûr en revanche de s’être pris un gros shoot de théâtre dans les oreilles et les yeux.
Présenté au Théâtre de Vanves les 22 et 23 janvier. En tournée.
Visuel : ©cie